Iván REPILA, Le puits

February 8, 2021
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Iván REPILA, Le puits, Denoël, 2014, 110 p. (El niño que robó el caballo de Atila, Libros del Silencio, 2013, 130 p. )

Livre fascinant, étonnant, plus proche du conte que du roman – il y a même des loups – un conte très noir. C’est pourquoi je préfère le titre espagnol : L’enfant qui a volé le cheval d’Attila.

C’est l’histoire de deux enfants, deux frères, le Grand et le Petit. Ils sont tombés au fond d’un puits de 7 mètres. Comment ? Pourquoi ? Tout ce qu’on sait au début, c’est qu’il revenait avec un sac de nourriture pour leur mère, mais, malgré la faim qui les tenaille, le Grand interdira formellement au Petit d’y toucher. « Dans le sac, il y a un morceau de pain, des tomates séchées et des figues »[1] Cette phrase reviendra comme un leitmotiv jusqu’à ce que le Petit redoutant les menaces de son frère se refuse à prononcer le mot qui commence par S. Pourquoi ce sac dont le contenu pourrait les aider à soulager momentanément les affres de la faim revêt-il tant d’importance ?

Au bout de trois jours, une certaine routine s’installe. Ils se nourrissent de ce qu’il trouve dans le trou : vers, asticots, insectes, racines, terre et boivent le peu d’eau qui suinte des parois. Le Grand fait des exercices physiques pour se maintenir en forme et quand tombe le soir, ils poussent de grands cris mais personne ne les entend. La description devient on ne peut plus naturaliste, le narrateur ne nous épargne aucun détail de ce huis clos bientôt envahi par la crasse et la puanteur ni de la déchéance progressive du cadet.

Puis viennent les rêves du Petit, agréables d’abord avec des papillons qui ont des goûts de fruits, il invente des céréales multicores, des femmes avec des ongles de verre,…rêves qui peu à peu vont laisser la place aux cauchemars – c’est à ce moment qu’il rêve qu’il a volé le cheval d’Attila – pour se terminer en démence accompagnée de dysphasie : Laprostón ! Suco dolerto alaprostado ! To saberé ! To saberé hundi la crosta fúlminada calante ! ARTO CRUSOMERDO ! (p. 71)

Ce n’est que tout à la fin que le lecteur connaîtra le pourquoi et le comment de la présence des deux frères dans ce trou profond et la fonction du sac de nourriture et qu’une deuxième lecture attirera son attention sur de petits indices habilement distribués.

Bien entendu, le lecteur se pose la question sur le sens (les sens ?) de ce livre qui se prête à de multiples lectures dont la liberté d’interprétations est laissée au lecteur.

Une lecture superficielle, au premier degré, qui narre l’histoire de deux frères tombés au fond d’un trou d’où ils cherchent en vain de sortir.

Une lecture politique comme semble nous proposer une citation en exergue de Margaret Thatcher : « Dans un système de libre échang et de libre marché, les pays pauvres – et les gens pauvres –ne sont pas pauvres parce que les autres sont riches. Si les autres étaient moins riches, les pauvres seraient, selon toute probabilité, encore plus pauvres. » Le conte serait une métaphore de situations contemporaines : l’Espagne, la Grèce,… peuvent-elles sortir du trou dans lequel les politiques d’austérité les ont fait tomber ?

Une métaphore du pouvoir : « Tous les habitants sont affamés parce que la terre s’est épuisée disent certains.

[…]

– En haut ils ont besoin d’espace répond le Grand chaque fois que le Petit lui demande pourquoi eux vivent dans un endroit si sale.

–       Et en haut, ils sont nombreux ?

–       Non, ils sont très peu.

–       Alors, en haut, c’est petit ?

–       Non, c’est très grand.

–       Je ne comprends pas.

–       En haut, c’est là où est le pouvoir. » (p. 26)

Un conte initiatique :

–       C’est quoi cette rage que je ressens à l’intérieur ?

–       Tu deviens un homme, dit le Grand. (p. 53)

Voire existentiel : « Ce puits est un uterus, toi et moi nous sommes sur le point de naître, nos cris sont les cris de douleur de l’enfantement du monde. » (p. 87).

Le Puits est un livre remarquable, aussi dense qu’il est bref ; un livre comme on les aime, un livre qui ne laisse pas indifférent, qui pousse le lecteur à aller au-delà de la lecture, lui laissant sa liberté d’interpréter ; un livre qui, paradoxalement permet au lecteur de s’identifier aux personnages tout en gardant une distance.

L’écriture est à l’avenant, souvent poétique même dans les descriptions les plus naturalistes ; des phrases courtes sans jamais un mot de trop, des dialogues laconiques, mais lourds de sens. Une écriture qui, étrangement, impose un rythme de lecture relativement lent malgré le suspense qui titille le lecteur et le presse d’avancer.

[1] Toutes les traductions et toutes les références sont faites à partir de la version originale espagnole El niño que robó el caballo de Atila.

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