José Javier ABASOLO, Demasiado ruido

February 8, 2021
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José Javier ABASOLO, Demasiado ruido, [Trop de bruit] , Erein, 2016. [non traduit]

La collection « Cosecha roja » des éditions Erein de Bilbao renferme des perles du roman noir. Que je sache, aucun n’a encore été traduit en français. Pourtant, à mon avis – et je ne suis pas le seul à l’écrire – des auteurs comme José Javier Abasolo et Jon Arretxe sont considérés aujourd’hui comme deux des meilleurs auteurs du genre en Espagne. Je n’ai pas encore eu l’occasion ni le temps de lire d’autres auteurs de cette collection dont on m’a dit beaucoup de bien.

Puisque dans cette rubrique il s’agit d’Abasolo, il convient de dire que ses livres ne se lisent pas d’une traite. C’est tout le contraire d’un reproche : il fait durer le plaisir, surtout dans ce dernier roman.

C’est comme dans la restauration : il y a le fast food et la gastronomie. Dans le premier cas, on mange sur le pouce et on oublie. C’est le sort des best-sellers. Dans le second, on déguste, on s’attarde à table, on commente les ingrédients et, les jours suivants, on parle de cette expérience aux amis en leur recommandant le restaurant.

Demasiado ruido relève de la gastronomie. Quand on arrive au terme des 422 pages, on est tenté d’en relire quelques-unes, voire de faire une deuxième lecture…comme on retourne au même restaurant.

Parmi ces ingrédients, sans oublier la qualité de l’écriture, il y a les dialogues, toujours fonctionnels, savoureux, souvent pleins d’humour et d’ironie dans lesquels l’auteur joue avec les niveaux de langue pour notre plus grand plaisir.

Il faut dire aussi que l’armature narrative nous y convie avec deux voix narratives, celle de Goiko, le protagoniste et celle d’un narrateur omniscient et 32 chapitres qui se suivent sans aucun ordre chronologique ni spatial. Tous ces chapitres s’articulent autour de la mort d’un mendiant : sept mois avant la mort du mendiant, trois jours avant la mort du mendiant, quarante-cinq jours après la mort du mendiant,…et ainsi de suite.

D’emblée le lecteur sait qu’il va se trouver devant un sacré puzzle à reconstituer en cours de lecture et non après. Il peut glisser des petits papiers entre les pages, mais ce ne lui sera pas très utile.

Et pourtant on continue à lire, sans précipitation, sans trop revenir en arrière, sans jamais se lasser, parce que cette structure apparemment complexe est d’une grande cohérence. Elle sert à brouiller les horizons d’attente du lecteur – inutile et inopportun de courir à la fin pour connaître le dénouement – et à ajouter du suspense, chaque chapitre se terminant par une fin ouverte, sauf les deux derniers qui ne manquent d’ailleurs pas d’intérêt.

Dans l’avant-dernier un narrateur externe donne la version telle qu’elle est perçue par le commissaire Eneko Goirizelaia, une version partielle (réticente ?), celle qu’il a envoyée officiellement à la gendarmerie française concernant la mort des quatre Africains. Une affaire qu’il s’était juré de résoudre et qui, par conséquent fait désormais partie des « affaires classées ».

Et dans le dernier chapitre, c’est Goiko qui redevient le narrateur pour donner sa version des faits, le jeu dangereux qu’il a joué et comment il a roulé tout son monde dans la farine.

Bref Demasiado ruido nous invite à une lecture à la fois ludique, jouissive et intelligente.

Il y a une histoire, bien entendu – et même plusieurs histoires – et un mendiant mort d’une mort atroce. Mais il faudra lire une centaine de pages pour assister à cette mort. Et puis, était-ce bien un mendiant ?

Il y a surtout Goiko, l’antihéros de romans précédents d’Abasolo. C’est un ex-policier accusé faussement de pédérastie qui, bien que blanchi par la justice et réintégré officiellement dans la police (mais il ne rejoindra pas son poste) a du mal à se débarrasser de l’image de pestiféré que certains continuent à se faire de lui. Il ne fait rien non plus pour améliorer cette image.

C’est un solitaire doublé d’un ours mal léché. Reconverti en détective, il a le don de se mettre dans de sales draps – particulièrement dans ce roman – et la manie de travestir, voire de dissimuler ses informations.

Il faut admettre que, dans ce quatrième épisode, certaines circonstances ne plaident guère en sa faveur : il a hérité d’un bar à filles sur lesquelles il doit veiller. Bien qu’il ne se comporte nullement comme un proxénète, bien au contraire, cette situation ne joue évidemment pas en sa faveur. Cet héritage empoisonné n’est pas du goût de Lola sa petite amie et leur relation a du plomb dans l’aile ; avec son fichu caractère, il en veut au monde entier, notamment à ses voisins du dessus qui font « trop de bruit ». À cause de sa réaction déraisonnable et surtout illégale, les voisins déposent plainte.

Ces petits incidents mis bout à bout, non seulement ne contribueront pas à redorer son blason mais plutôt à donner de lui la fausse image d’un individu qui ne recule devant rien. Ils seront à l’origine de ses déboires.

Nous touchons là à une autre grande originalité qui fait la qualité de ce roman, c’est que rien n’y est jamais comme il le paraît : le mendiant est-il vraiment un mendiant ? Lola, l’amante de Goiko est-elle vraiment la femme qu’il croyait ? Salif est-il vraiment le bon musulman pieux et respectueux ? Les assassins du mendiant sont-ils vraiment des assassins ? Et la juge, est-elle vraiment une juge intègre ?…Si cela peut déstabiliser un lecteur qui aborde Abasolo pour la première fois et qui doit constamment remettre en question ce qu’il a cru comprendre, il n’en sera pas de même pour celui qui a lu les autres aventures de Goiko et qui sait qu’il est malin comme un singe, mais qu’il a aussi le don de se mettre dans des situations scabreuses.

D’autres personnages, les uns déjà présents dans les romans antérieurs, les autres, nouveaux, gravitent autour de Goiko.

Il y a d’abord le commissaire Eneko Goirizelaia, l’ami fidèle et discret de Goiko, un des rares à ne pas lui avoir tourné le dos quand il a été démis de ses fonctions à la suite de la fausse accusation. Il essaie de comprendre ce que lui cache Goiko.

Il y a Lola, son amante (?) occasionnelle qui mourra tragiquement. Crime ? Suicide ?

Il y a Vladimir, l’ex-tueur à gages roumain qui reprend du service et exercera ses talents à Londres, Bilbao et Bucarest.

Il y a aussi quelques anciens collègues de Goiko, pas toujours très convaincus de son innocence, mais qui lui viennent quand même en aide par loyauté envers le commissaire Eneko.

Il y a aussi les nouveaux : Moussa, le tout puissant commissaire de police de Bamako, redouté de tous pour sa cruauté. Corrompu jusqu’à la moelle, il dirige aussi une organisation mafieuse à Bilbao.

Salif, le petit vendeur de Bamako, le bon petit musulman respectueux des préceptes de sa religion, mais aussi très respectueux des autorités. Un oiseau pour le chat pour Moussa dont il deviendra le bras droit (Mais avait-il le choix ?). Moussa l’enverra à Bilbao où il s’occupera officiellement d’une entreprise d’import-export et s’empressera d’oublier les règles de sa religion.

L’avocat Sánchez-Ávila y Ribera de Osma, personnage polymorphe, puissant, intouchable et dangereux.

Sa secrétaire, Ibone Gutiérrez Soltxaga.

Le noir distingué rencontré dans le bureau de l’avocat et que Goiko a pris pour le consul du Zimbabwé

La juge Idoia Gastaminza qui a enquêté sur la mort accidentelle de quatre Africains en France et a classé l’affaire sans suite.

Lord Samuel Melrose, Miss Campbell et James Robertson, le détective de Scotland Yard à Londres.

Et puis il y a cette tante Nathalie –mais est-ce vraiment sa tante ?- qui veut revoir son neveu Goiko avant de mourir pour lui remettre une enveloppe. C’est elle, finalement, qui détient, au sens propre comme au sens figuré, la clé des histoires.

Et il y a aussi Touré, le protagoniste de la saga d’Arretxe. Ce clin d’œil amical à un collègue – Touré est le premier détective noir de l’histoire du roman policier espagnol – n’est pas tout à fait gratuit. Si Touré ne participe pas à l’action, sa parfaite connaissance de la faune de Bilbao, justifie que Goyko le consulte comme, dans un autre chapitre, il consulte un prêtre qui fait partie de ses connaissances.

Il y a aussi beaucoup de morts. Certaines sont délibérément criminelles,… quoique. D’autres sont apparemment des suicides ou des accidents, d’autres sont la conséquence d’agressions crapuleuses ayant le vol pour motif.

La plupart de ces morts ont quelque chose en commun : une clé USB vide ( ?) qu’on trouve lors de leur autopsie, que ce soit à Bilbao ou à Londres.

Mais, comme je l’écrivais plus haut, rien n’est jamais comme il le paraît dans ce roman.

En toile de fond, mais discrètement, se dessine la réalité sociale de l’époque avec la corruption, l’immigration, la banalisation de la violence, la xénophobie, le climat de peur, l’individualisme,… Certaines scènes s ‘inspirent d’ailleurs de faits divers réels : suicides de cadres d’entreprises, attaques gratuites de sans domicile fixe,…

Le design de couverture du livre est un véritable paratexte qui va au delà de sa fonction éditoriale. Je le comparerais bien avec l’album d’Hergé, Les bijoux de la Castafiore, dont la première vignette donnait les clés de l’histoire.

L’auteure de ce design n’est autre que l’excellente traductrice d’Arretxe pour qui elle avait également conçu les couverture de la « saga Touré » et de Sueños de Tanger. Cela méritait d’être signalé.

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