Et si on s'intéressait un peu aux auteurs basques ? (3)

February 7, 2021
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José Javier ABASOLO, Una del Oeste, Erein, 2014 [Non traduit]

Qui a-t-il de commun entre un charcutier de Bilbao et un justicier du Wyoming ? Entre un roman d’aventures et un roman policier conventionnel (si on peu dire)

Si vous maitrisez la langue de Cervantes, vous l’apprendrez en lisant Una del Oeste[une histoire du Far West], malheureusement non encore traduit en français. Et vous éprouverez beaucoup de plaisir, car Una del Oeste est un livre qui, sous un seul titre raconte deux histoires relevant de genres différents, ce qui peut paraître déconcertant à première vue. Mais dès les premières pages le lecteur devine qu’il pénètre dans une œuvre originale, jouissive et ludique, une œuvre qui fait appel à sa sagacité, à sa perspicacité et à sa complicité

Il y a donc deux histoires. Elles se différencient par la typographie. L’une relève du roman policier et se situe à Bilbao. L’autre, Une sorte d’hommage-parodie aux romans de gare très populaires dans les années 60 et 70 du siècle dernier, comme la décrit Abasolo, relève du roman d’aventure. Elle a pour décor Laramie [1], une bourgade située aux fins fonds du Far West, plus précisément au Wyoming. Deux histoires éloignées dans le lieu et dans le temps (quoique).
Les deux histoires s’entremêlent, non pour se rejoindre au dénouement, selon la convention des romans qui utilisent cette technique, mais avec la différence que la fin est beaucoup plus inventive et plus subtile.

On commence donc par le Far West avec l’arrivée très clinteastwoodienne d’un cowboy solitaire à Laramie. Après Clint Eastwood, on ne peut s’empêcher de penser à Lucky Luke, le poor lonesome cowboy qui tire plus vite que son ombre comme on s’en rendra compte très rapidement.
Défilent alors tous les clichés copiés des westerns spaghettis : le silence hostile qui s ‘installe à l’apparition d’un étranger, le saloon avec ses joueurs de poker éthyliques, le juge corrompu, le cabaretier inquiet pour son mobilier, le shérif inculte, respectueux des lois, mais pusillanime…et les premiers coups de feu qui éliminent le juge et imposent crainte et respect à une clientèle versatile.
Le nom de cet étranger est Duncan McFree., alias Colt Duncan.
On suivra ses aventures intercalées aléatoirement ( ?) entre les chapitres du deuxième roman, le roman policier.

Celui-ci s’ouvre sur l’assassinat d’un charcutier au nom prosaïque et peu littéraire de Emiliano Etxebarria. qui n’est autre que l’auteur des histoires de Colt Duncan.
Il a été tué par ce qui semble être un petit trafiquant de drogue, lui-même abattu par un policier municipal qui était présent sur la scène du crime.
Les premières constatations sont interpellantes : l’auteur du crime n’a pas tenté de répliquer au tir du policier parce qu’il n’avait qu’une seule balle dans son chargeur. Ce ne sera pas la seule bizarrerie comme le suspectera le lecteur perspicace. L’assassin avait-il un autre mobile que le vol ? Comme il est décédé, occis par un policier, la loi exige qu’on ouvre une enquête.
Mais en fait, il y aura deux enquêtes. L’une, officielle, pour éclairer les coins d’ombres de ce crime. Elle est confiée à un petit juge idéaliste à qui il est demandé de classer l’affaire sans suite.
L’autre est commanditée par un riche bourgeois, Lazarraga, devenu éditeur pour publier les poésies de sa femme. C’est lui aussi qui a édité les romans du charcutier. Retrouver et éditer un roman posthume de l’auteur de la saga de Colt Duncan représenterait un investissement rentable pour ses affaires. Il confie cette recherche à un professeur de littérature dont les seules références, à ses yeux, sont d’être un ex-ETA et ex-agent de police au Nicaragua. Ce professeur, auteur frustré et époux lui aussi d’une poétesse, compte bien tirer quelques profits éditoriaux de cette mission.

Le lecteur avisé a déjà deviné que le juge continuera à enquêter, non parce qu’il subodore des pressions venues de haut pour occulter de probables magouilles, selon les canons du polar conventionnel, mais plus prosaïquement, parce qu’il vient d’oser le premier acte d’indépendance de sa vie en rompant avec sa fiancée, fille d’un magistrat. Aussi et surtout parce qu’il s’est entiché d’une policière qui n’a pas froid aux yeux. Celle-ci, María, propose son aide au juge, ce qui n’est pas pour lui déplaire.
Avec des collègues policiers et des relations parfois douteuses, Maria va mener des investigations clandestines, pas toujours très orthodoxes, mais qui se révèleront efficaces grâce à ses lectures de romans policiers.

Je passe sur les épisodes pour ne retenir que si le juge-détective mène à terme son enquête, ce n’est pas grâce à ses talents subitement découverts de détective, mais grâce à l’aide de simples policières astucieuses, lectrices de polars. Tandis que si le professeur découvre ce qui se cache derrière cette affaire de roman posthume, ce n’est pas parce qu’il a été policier au Nicaragua, mais bien grâce à son sens de l’analyse littéraire inhérent à sa formation de professeur de lettres.
L’histoire du roman du Far West se poursuit avec les aventures de Duncan McFree, alias Colt Duncan érigé en protecteur des habitants de Laramie harcelés par l’infâme Silver Kane[2], le propriétaire du « Kane Ranch » et ses sbires. Protecteur aussi de la belle Susan chez qui le shérif l’a placé en arrêt domiciliaire.
Pour se débarrasser de la bande à Silver Kane, il monte une expédition punitive avec le shérif et Zacharias, le journaliste local, expédition organisée selon un plan génial et diabolique.

Au final, les deux histoires se rejoignent, mais de manière inattendue, la clé se trouvant dans le roman du Far West et dans Le faucon maltais de Dashiell Hammett.

Parodie du roman d’aventure et du roman policier, Una del Oeste joue sur les codes des deux genres, mettant en relief les clichés respectifs.
Dans le roman du Far West, le bon, justicier sans peur et sans reproche, impitoyable et invincible et sa belle soupirante d’une part ; le salopard, propriétaire du ranch, prêt à tout pour s’approprier des terres d’autre part. Et, entre les deux, le shérif ignare, scrupuleux, mais poltron ; le journaleux local ; le saloon avec sa faune ses joueurs de poker qui plument les naïfs ; le juge complice et corrompu et les chevauchées fantastiques, mais sans indiens. Dans le roman policier, le narrateur joue aussi sur les codes, mais en les détournant : des détectives intéressés, un juge qui n’hésite pas à pratique le chantage, un éditeur inculte « Ecoutez Uribe, je vais être sincère avec vous, je ne pige que dalle en littérature et les choses étant comme elles sont, c’est un sujet dont je me soucie comme un poisson d’une pomme » (60), enquêtes résolues par des moyens peu conventionnels et un dénouement basé sur la technique du roman dans le roman.
Il joue également sur les niveaux d’écriture ainsi que sur les niveaux de langue, ce qui confère de la saveur aux dialogues.
Il joue surtout sur la complicité du lecteur. Bien que les deux romans soient parfaitement structurés selon les canons de leurs genres respectifs, le lecteur a rapidement pris conscience qu’il s’agira d’une lecture au deuxième degré à cause de multiples jeux sur la narration en commençant par une pléthore anormale de clichés.
Mais aussi par le recours à
– des anachronismes, nombreux surtout dans le roman du Far West « En ce que j’ai entendu et pu comprendre en live et en direct –avec cette expression utilisée à une époque où la télévision n’avait pas encore été inventée, démontrait que j’étais en avance sur mon temps -… » (50)
[…]
« Mais si vous tenez à être le troisième homme dont le fossoyeur doit s’occuper ce matin, je suis à votre disposition.
« Un frisson traversa le corps du shérif alors qu’on n’avait pas encore publié le célèbre roman de Graham Greene,
‘‘Le troisième homme’’… » (53) ;
– des clins d’œil : à Jon Arretxe, Andreu Martín, González Ledesma, Dashiell Hammett, Raymond Chandler, Bram Stoker, Dante, Cesare Lombroso, Shakespeare, Pessoa, Gauguin… ;

– l’intertextualité : filmique, souvent illustrée par des fragments de dialogues mythiques « C’est çà l’Ouest, Monsieur, quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende »[3](189)

« Je sais à quoi vous pensez. Combien de balles reste-t-il dans mon révolver ?»[4](202), picturale, « La version actualisée du célèbre D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? réussit à tirer Duncan McFree de son silence »[5](343), littéraire (Zorrilla, Becquer), populaire (la rengaine No me quieres mi amor) …

Je laisse au lecteur le plaisir de faire d’autres découvertes. Ce sera l’aspect ludique de ce livre vraiment génial.

[1]Laramie, aujourd’hui une petite ville du Wyoming, existe vraiment et son nom a donné lieu à quelques films (Fort Laramaie, Projet Laramie…)
[2]Cfr. dans ce blog la présentation de La Dama y el recuerdo, [La Dame et le souvenir] de Silver Kane, alias de Francisco González Ledesma.
[3] John Ford, L’homme qui tua Liberty Valance.
[4] Don Siegel, L’inspecteur Harry.
[3] Il s’agit du tableau de Gauguin=

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