Francisco GONZÁLEZ LEDESMA (Alias SILVER KANE), La Dama y el recuerdo

February 8, 2021
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La Dama y el recuerdo [La Dame et le souvenir], Planeta, 2010, 320 págs., 20 €

Le roman de gare est un monde fascinant. (Manuel BLANCO CHIVITE)

Silver Kane fut mon maître, ( F. GONZÁLEZ LEDESMA)

En Espagne les années quarante et le début des années cinquante furent des années de disette pour la population. Les cartes de rationnement ne suffisaient pas pour que puissent manger à leur faim ceux qui n’avaient pas les moyens de s’approvisionner au marché noir ou qui ne faisaient pas partie de la nouvelle caste. En outre, ceux qui avaient la chance de pouvoir travailler – rappelons que tous les supposés proches de l’ancienne République étaient exclus du marché du travail – recevaient des salaires de famine. De sorte que pour survivre pas mal de gens devaient avoir recours au cumul des emplois (le célèbre pluriempleo).

C’est ainsi que beaucoup de fonctionnaires surtout, profitant du fait que, faute de moyens, la population était privée de distractions et était friande de la production cinématographique américaine[1], se mirent à écrire des romans d’aventures inspirés des westerns, (novelas del Oeste) sous des pseudonymes à consonance américaine (Tony M. Tower, Lou Carrigan, Ralph Barby, Frank Caudett, Donald Curtis, Keith Luger et ….un certain Silver Kane). Ces petits romans distribués dans les kiosques à journaux étaient accessibles à tous en raison de leur prix dérisoire.

González Ledesma fut un de ces auteurs. Qualifié de « rouge » et de « pornographe », il était dans le collimateur de la censure après l’interdiction de publier son roman Sombras viejas(Ombres du passé, Nantes, L’Atalante, 2005), pourtant lauréat du Premio Internacional de Novela en 1948. Dans l’obligation de gagner sa vie, il publia alors aux éditions Bruguera sous le pseudonyme de Silver Kane, des centaines de romans d’aventures. A raison de l’écriture de quatre romans par mois, il estime leur nombre à plusieurs centaines pour lesquels il touchait 1500 pesètes par roman, c’est-à-dire environ 10 €.[2]

Il s’est expliqué – et justifié – sur cette production dans Historia de mis calles,(2006) pas encore traduit en français : « J’avais honte d’écrire des histoires sans prétention. Encore que j’avais celle de distraire les gens, ce qui n’est pas une prétention anodine ; je me suis rendu compte que mes romans d’aventures de l’Ouest ont servi d’initiation à la lecture pour un public qui ne lisait pas. J’y disais aussi, mais de manière cachée, qu’ici il n’y avait pas de liberté. »

[…]

« Le plus important c’est qu’en écrivant ces romans, techniquement j’ai appris énormément. Ils devaient accrocher le lecteur dès les premières lignes et ensuite doser l’intensité de sorte qu’ils se lisent d’une traite. C’était un défi quotidien et tu devais faire preuve d’une imagination fertile pour ne pas te répéter et inventer des situations qui soient à la fois convaincantes et attractives. Les éditions Bruguera étaient intraitables sur ce point et refusaient toute histoire qui ne s’ajustait pas à ces conditions. Silver Kane fut mon maître »

En 2010 âgé de 83 ans,comme il l’écrit sur la quatrième de couverture: « J’ai pris le risque de revenir à mes années de jeunesse […] J’ai essayé de savoir si, après autant de temps, j’étais encore capable d’écrire comme un jeune…Si je n’ai pas été capable de ressusciter cet univers, je ne vous demande qu’une seule chose, ne tirez pas sur le pianiste. » Ce ne sera pas nécessaire.

De fait La Dama y el recuerdon’est pas une « édition revue et corrigée d’une publication antérieure, mais bien d’un nouveau roman entièrement original qu’il signe d’ailleurs de son nom, González Ledesma, et non de son psudonyme Sylver Kane.

Tous les ingrédients et tous les stéréotypes du Western sont réunis : il y a des bons, des brutes et des truands, des pistoleros qui, comme Lucky Luke, tirent plus vite que leur ombre, des chasseurs de primes, des tueurs à gages, des voleurs de bétail, des femmes fatales…un saloon avec ses entraîneuses et son pianiste, un fossoyeur et un médecin qui boivent comme des éponges, le directeur du journal local qui s’appelle…Silver Kane qui fut écrivain et publia quelques histoires de la région, un shériff qui meurt à la page 8, un directeur de banque qui meurt à la page suivante et beaucoup d’autres morts. Parmi les nombreux protagonistes se détachent quelques personnages : Michael Ford, représentant du gouvernement et délégué aux affaires indiennes, l’homme le plus corrompu de la ville et une de ses pires crapules ; Lena, sa maîtresse, une femme sans scrupule guidée uniquement par l’appât du gain ; Fedra, la métisse indienne vendue par sa tribu, tombée dans les griffes de Ford et sauvée par Taylor, le pistolero justicier qui va prendre soin d’elle et du fils de Vaillant qu’elle a recueilli, Vaillant, le chef indien qui voulait acheter la paix pour son peuple et qui fut tué par Ford ; Lanacaster, le chasseur de primes le plus célèbre et le plus professionnel de l’Ouest, ce qui ne l’empêche pas d’être un homme d’honneur, il est à la solde de Ford pour tuer Taylor ; Glenda Peter, alias Ketty River, la juge qui montre ses jambes à ceux qu’elle condamne à mort afin qu’ils voient pour la dernière fois quelque chose de beau avant de monter sur la potence ; Johnny Cementerio, son garde du corps et Allan son protecteur aveugle qui ne rate jamais sa cible en se guidant seulement à l’oreille. Et, petit clin d’œil à la modernité et à l’engagement politique de l’auteur, le capitaliste qui veut acheter le cimetière pour investir dans l’immobilier.

Si les techniques du roman de gare ont été utiles à González Ledesma pour écrire ses romans policiers, inversément les techniques du genre l’ont servi pour écrire ce roman d’aventures : maîtrise des techniques du suspense, jeux sur les horizons d’attente, qualité des dialogues, habileté à insérer des histoires dans l’histoire et à introduire de nouveaux protagonistes sans que le lecteur ne perde jamais le fil conducteur.

L’écriture est cinématographique avec beaucoup de dialogues et le minimum de descriptions. On ne peut s’empêcher de penser aux meilleurs westerns de Sergio Leone ou à True Grit, des frères Coen.

[1] Cette demande était une des conséquences de la situation politique et sociale. Le cinéma permettait d’oublier momentanément les difficultés quotidiennes et de rêver à autre chose. L’industrie cinématographique américaine l’a bien compris en exportant surtout des dessins animés, des comédies holywoodiennes, des westerns, … malgré, surtout aux débuts des années quarante, des réticences des autorités espagnoles et de la méfiance de l’église qui ne voyaient pas d’un bon oeil cet engouement pour « l’american way of live ». Le choix des autorités était cornélien : ou satisfaire la population et recevoir des aides économiques de l’Amérique, aides indispensables pour financer la production nationale, notamment celle des No-do (actualités de propagande qui précédaient la projection des films) ; ou se priver de ces aides économiques et voir le public se détourner de la production nationale. Mais c’est une autre histoire.

[2] Sous le pseudonyme d’Enrique Moriel, il écrivit deux romans policiers et en tant que Rosa Alcázar une trentaine de romans à l’eau de rose.

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