Fernando ARAMBURU

February 9, 2021
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Los peces de la amargua, 2006 (non traduit) et Años lentos, Tusquets, 2012, (Les années lentes, J.C. Lattès, 2014).

Je n’avais pas été convaincu par Patria, le bestseller de l’année 2016, considéré par certains comme « Le premier roman sur les années sombres du Pays basque »[1], publié après que l’ETA eut déposé les armes. Roman que j’avais trouvé assez conventionnel et écrit comme s’il devait être destiné à une adaptation cinématographique (ce qui s’est révélé exact).

Los peces de la amargura, Tusquets, 2006 [Les poissons de l’amertume] est un recueil de dix courts récits dans lesquels l’auteur présente un catalogue de la vie quotidienne au Pays basque dans les années soixante-dix, depuis les graffitis accusateurs sur les façades des présumés traîtres jusqu’aux assassinats, en passant par les menaces, les suspicions, l’insécurité, les ostracismes… la violence du terrorisme qu’elle soit le fait des représentants de l’ordre ou des membres de l’ETA.
Parmi les protagonistes de ces récits, la plupart sont des victimes innocentes qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment, de simples citoyens accusés à tort et qui ont été torturés pour les soupçons qui pesaient sur eux, des prisonniers et leurs parents qui leur rendent visite souvent au terme d’un long voyage et qui doivent subir en outre des humiliations de la part des gardiens…
Chaque récit tourne autour d’un ou de plusieurs de ces thèmes avec comme élément récurrent les souffrances physiques et morales des victimes et les séquelles psychologiques.

Años lentos, Tusquets, 2012, (Les années lentes, J.C. Lattès, 2014) est un roman que l’on pourrait taxer de plus expérimental, métalittéraire, un roman en train de se faire. Il s’articule sur l’intertextualité entre le discours d’un narrateur peu expérimenté et un romancier professionnel.
Le premier conte au deuxième – qu’il appelle Monsieur Aramburu – des anecdotes, les « scènes » de son enfance passée à Saint-Sébastien à la fin des années soixante. En alternance avec la lecture de ces scènes, le romancier jette sur le papier des « notes » préparatoires au roman en gestation.
Chacun des deux discours est le reflet des compétences socioculturelles de chacun des émetteurs.
Le narrrateur occasionnel s’ingénie à écrire comme dans les livres avec ses propres mots, tantôt maladroits tantôt pompeux. Il brosse des portraits de ses proches, insère des descriptions parfois savoureuses, introduit des dialogues…Mais parfois, gêné par ce qu’il vient d’écrire, il interrompt son récit pour faire part de ses scrupules à son destinataire : « Ces anecdotes que je vous raconte par écrit ont une grande densité confidentielle. Je vous demande de traiter avec respect ma cousine Mari Nieves dans votre roman conformément à la promesse que vous m’avez faite de lui assigner un nom fictif quel qu’il soit pourvu que ses parents, ses voisins et elle-même ne puissent identifier la personne nommée. » (p.28)
L’écrivain, à l’inverse du narrateur, ne se soucie pas de la mise en forme. Il se contente de jeter sur le papier les « notes » qu’il a prises au cours de la lecture du texte du narrateur, celui que nous avons sous les yeux, mais aussi des fragments dont le contenu se lit entre les lignes. C’est un document de travail préparatoire à une mise en forme définitive.
Il commente le texte du narrateur et s’interroge sur la façon dont il envisage de les exploiter en relisant ses brouillons :
le choix des mots « Maripuy allume une bougie à la vierge de l’urne. En réalité, ce n’est pas une bougie mais une mèche collée à un morceau de caoutchouc comme celles que ma mère mettait […] Chandelle ? Cierge ? Si je ne trouve pas le mot juste dans le dictionnaire, je garde bougie (Qui va s’en rendre compte ?) » (p. 39) ;
les choix à faire pour rédiger un passage : « Brève description des deux femmes. L’une avec des bigoudis et en peignoir, l’autre en vêtements de deuil. Introduire des basquismes et des erreurs grammaticales propres du parler de la région, mais sans exagérer… Il faudra que j’adapte le langage à la condition sociale des personnages… C’est important... Mais faire gaffe, surtout avec les mots et les expressions courantes qu’on n’avait pas encore inventés. » (p. 107) ;
les options possibles pour narrer un fait [Mari Nieves a l’intention de se suicider]
« Option Madame Bovary : Mari Nieves avale toutes les pilules qu’elle trouve sur la commode de ses parents. Ou elle boit toute la bouteille d’eau de javel.
Option Anna Karénine : elle se jette sous un train….Option Virginia Woolf : elle se noie dans le fleuve avec un seau plein de pierres dans chaque main…C’est bien, mais comment la gamine va-t-elle amener les pierres jusque là ? En trolleybus ? C’est ridicule. Attention ! Monsieur l’écrivain, du respect pour votre personnage.

Años lentos, Tusquets, 2012, (Les années lentes, J.C. Lattès, 2014) est un roman que l’on pourrait taxer de plus expérimental, métalittéraire, un roman en train de se faire. Il s’articule sur l’intertextualité entre le discours d’un narrateur peu expérimenté et un romancier professionnel.

Le premier conte au deuxième – qu’il appelle Monsieur Aramburu – des anecdotes, les « scènes » de son enfance passée à Saint-Sébastien à la fin des années soixante. En alternance avec la lecture de ces scènes, le romancier jette sur le papier des « notes » préparatoires au roman en gestation.

Chacun des deux discours est le reflet des compétences socioculturelles de chacun des émetteurs.

Le narrrateur occasionnel s’ingénie à écrire comme dans les livres avec ses propres mots, tantôt maladroits tantôt pompeux. Il brosse des portraits de ses proches, insère des descriptions parfois savoureuses, introduit des dialogues…Mais parfois, gêné par ce qu’il vient d’écrire, il interrompt son récit pour faire part de ses scrupules à son destinataire : « Ces anecdotes que je vous raconte par écrit ont une grande densité confidentielle. Je vous demande de traiter avec respect ma cousine Mari Nieves dans votre roman conformément à la promesse que vous m’avez faite de lui assigner un nom fictif quel qu’il soit pourvu que ses parents, ses voisins et elle-même ne puissent identifier la personne nommée. » (p.28)

L’écrivain, à l’inverse du narrateur, ne se soucie pas de la mise en forme. Il se contente de jeter sur le papier les « notes » qu’il a prises au cours de la lecture du texte du narrateur, celui que nous avons sous les yeux, mais aussi des fragments dont le contenu se lit entre les lignes. C’est un document de travail préparatoire à une mise en forme définitive.

Il commente le texte du narrateur et s’interroge sur la façon dont il envisage de les exploiter en relisant ses brouillons :

Le choix des mots « Maripuy allume une bougie à la vierge de l’urne. En réalité, ce n’est pas une bougie mais une mèche collée à un morceau de caoutchouc comme celles que ma mère mettait […] Chandelle ? Cierge ? Si je ne trouve pas le mot juste dans le dictionnaire, je garde bougie (Qui va s’en rendre compte ?) » (p. 39) ;
les choix à faire pour rédiger un passage : « Brève description des deux femmes. L’une avec des bigoudis et en peignoir, l’autre en vêtements de deuil. Introduire des basquismes et des erreurs grammaticales propres du parler de la région, mais sans exagérer… Il faudra que j’adapte le langage à la condition sociale des personnages… C’est important... Mais faire gaffe, surtout avec les mots et les expressions courantes qu’on n’avait pas encore inventés. » (p. 107) ;
les options possibles pour narrer un fait [Mari Nieves a l’intention de se suicider]
Option Madame Bovary : Mari Nieves avale toutes les pilules qu’elle trouve sur la commode de ses parents. Ou elle boit toute la bouteille d’eau de javel.
Option Anna Karénine : elle se jette sous un train….Option Virginia Woolf : elle se noie dans le fleuve avec un seau plein de pierres dans chaque main…C’est bien, mais comment la gamine va-t-elle amener les pierres jusque là ? En trolleybus ? C’est ridicule. Attention ! Monsieur l’écrivain, du respect pour votre personnage.
[…]
Option Alfonsina Storni : Mari Nieves va à la plage d’Ondarreta et avance dans l’eau jusqu’à ce qu’elle se noie. L’acte serait plus poétique si la gamine n’était pas si grosse.
Ou est-ce que je m’arrange pour qu’elle se jette du balcon ? C’est très peu littéraire. Le suicide est un art comme un autre, dont l’accomplissement cependant ne requiert ni un long apprentissage ni une large expérience. (p. 73).
Il s’interroge aussi sur la mise en forme du texte définitif en pratiquant l’autocritique de ses brouillons.
Parfois le romancier livre des ébauches de narration, voire des fragments définitifs.
[…]
Option Alfonsina Storni : Mari Nieves va à la plage d’Ondarreta et avance dans l’eau jusqu’à ce qu’elle se noie. L’acte serait plus poétique si la gamine n’était pas si grosse.
Ou est-ce que je m’arrange pour qu’elle se jette du balcon ? C’est très peu littéraire. Le suicide est un art comme un autre, dont l’accomplissement cependant ne requiert ni un long apprentissage ni une large expérience. (p. 73).
Il s’interroge aussi sur la mise en forme du texte définitif en pratiquant l’autocritique de ses brouillons.
Parfois le romancier livre des ébauches de narration, voire des fragments définitifs :
L’affaire était réglée [le choix du mari] et décidée avec l’approbation du curé. Ni les pleurs ni les protestations de ma cousine n’y firent rien…
– Ne me fais pas ça maman. N’importe qui, mais pas Chacho. Il est laid et les gens vont rire de moi.
– Et toi, tu es belle peut-être ?
– Mais maman, il est à moitié cinglé.
– C’est bien pour ça. Ou est-ce que tu crois qu’un plus malin allait s’embarrasser de ce que tu portes dans le ventre ? » (p. 106)

Il y a aussi le personnage du curé, don Vitoriano, un fouille-merde omniprésent, qui piétine allègrement le secret de la confession. Il profite du respect et de l’autorité dont jouissent les ecclésiastiques pour embrigader les jeunes dans le foklore nationaliste, mais en déclinant toute responsabilité, quand certains s’engagent dans les rangs de l’ETA.

Du point de vue technique, Años lentos, n’est pas seulement un excellent roman “en train de se faire” d’un accès facile, mais aussi un document drôle et ironique sur la vie économique, culturelle et intellectuelle des populations banlieusardes des grandes agglomérations, populations faciles à manipuler et à exploiter.

[1] Patria était loin d’être le premier roman à aborder le sujet comme on a pu souvent le lire dans la presse.

Bien d’autres en effet avaient été publiés avant – même quand écrire sur l’ETA pouvait présenter des risques -, depuis Ramón Saizarbitoria, (Saint Sébastien, 1944) avec Cien metros [Cent mètres], écrit entre 1972 et 1976, date à laquelle il fut édité en langue basque (Ehun metro). Le livre sera immédiatement interdit et retiré de toutes les librairies par la police et Saizarbitoria sera assigné à comparaître devant le Tribunal de l’Orden Público.[ii] II y échappera grâce à la suppression de cette instance et à la loi d’amnistie générale de 1977.[ii]
Suivront Bernardo de Arrizabalaga (1923), En el principio era el roble [Au début était le chêne], Bernardo Atxaga, avec El hombre solo,1994 (L’homme seul, C. Bourgois, 1995), Esos cielos,1996, El hijo del acordeonista, 2004 (Le fils de l’accordéoniste, C. Bourgois, 2006), Anjel Lertxundi (1948), Felicidad perfecta, 2006 [Le bonheur parfait], traduction de la version en langue basque parue en 2002, Juan Bas, Alacranes en su tinta, 2002 (Scorpions pressés, Gallimard, Série noire, 2005)…

Il serait injuste de ne pas mentionner des auteurs non basques comme Raúl Guerra Garrido, Cristóbal Zaragoza, Jorge Martínez Reverte et Antonio de Blasqui abordent le problème sous l’angle de l’humour, la dérision pour l’un, l’humour noir pour l’autre, Antonio Muñoz Molina, José Manuel Fajardo, Manuel Villar Raso, Fernando Benzo et le Salmantin José Luis Muñoz, avec la tétralogie composée de caraquena del Mani, , 2007 [La Caraquène du Mani], Tu corazón Idoia, 2011 [Ton cœur, Idoia] qui seront suivis de Cazadores en la nieve [Chasseurs dans la neige], 2016 et El bosque sin límites, Atlantis, 2019 [Hors limites].

Dans le domaine français, on retiendra le remarquable roman noir de Marin Ledun, L’homme qui a vu l’homme, Ombres noires, Paris, 2014, une fiction romanesque basée sur un événement réel qui s’est passé au Pays basque français .

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