Et si on s'intéressait un peu aux auteurs basques ? (2)

February 7, 2021
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Jon ARRETXE, Shahamarán(2009), La calle de los Ángeles (2010) et La Banda de Arruti (2018). José Javier ABASOLO, El aniversario de la independencia, Salamanca, ed. Tempora, 2006.

Je n’oublie pas mes lecteurs francophones. Si la présentation des trois derniers romans mise sur ce bloc était en espagnol, c’est qu’ils n’ont pas (pas encore ?) été traduits en français, bien qu’ils le mériteraient amplement. J’ai déjà écrit tout le bien que je pensais de ces deux auteurs soucieux de présenter aux lecteurs des œuvres de qualité tant du point de vue des techniques narratives que de l’écriture. C‘est sans doute la raison pour laquelle on ne trouve jamais ces romans dans le rayon des bestsellers et que les éditeurs se montrent frileux à les traduire.

Shahamarán(2009) et La calle de los Ángeles(2010) de Jon Arretxe précèdent Sueños de Tanger (2011) dont j’avais fait une présentation sur ce blog.

L’histoire de Shahamarán[1]se déroule à deux endroits, l’Istanbul des émigrés kurdes qui ont fui les exactions perpétrées par la police et l’armée turque dans leurs provinces et Munich où abondent les immigrés turcs.
C’est l’histoire d’une famille Kurde qui, après l’assassinat du père et du frère aîné par les forces de l‘ordre ont fui le Kurdistan. Tandis que le deuxième frère et la sœur émigraient en Allemagne, Kawa, le cadet, est resté à Istanbul pour prendre soin de la mère qui est en chaise roulante. Son seul ami, un petit commerçant du bazar, lui procure de temps à autre un travail de sicaire. Kawa ne se pose aucune question et accomplit son travail comme un bon petit fonctionnaire. Sa rémunération est calculée en fonction du “nombre de personnes qui vont pleurer le mort”. Le peu d’argent qu’il reçoit lui sert à peine pour offrir à sa mère un petit quelque chose qui, pour elle, représente un brin de bonheur.

Un jour, il décide de se rendre en Allemagne pour voir ses frères. D’emblée, il se heurte aux problèmes de la xénophobie et au choc des cultures. Son frère a changé et semble impliqué dans des affaires douteuses. Quant à sa sœur, elle a disparu.
Cette disparition laissant son frère de glace, il décide d’entreprendre des recherches et ce qu’il va découvrir donne froid dans le dos, surtout quand il tombe par hasard sur le journal intime de sa sœur en décrochant un poster de Shahamarán.

Le roman se termine avec un incroyable suspense qui débouche sur un dénouement à la fois tragique et émouvant.

Shahamarán est un roman très noir, nihiliste, avec des personnages devenu des êtres sans foi ni loi. à cause des aléas de la vie. Par ci par là émerge une lueur de bonté, rapidement éteinte dans cet environnement de manipulateurs et d’exploiteurs.

L’histoire de La Calle de los Ángeles (La rue des Anges) se déroule à Lisbonne. Le protagoniste principal est un ex-commissaire expulsé de la police et reconverti en chanteur de fado. Un soir, en pleine représentation, on lui annonce que sa compagne, une vieille prostituée brésilienne a été assassinée.
Dans un environnement où règne la peur, il ne peut compter sur l’aide de personne. Son passé de policier et sa connaissance des quartiers chauds et de leur faune jouent néanmoins en sa faveur.
Ses recherches vont faire découvrir au lecteur l’envers du décor de Lisbonne, la Lisbonne des petites gens, des vendeurs à la sauvette, des immigrés, des conductrices de tram, de leurs passagers qui pestent contre les touristes, des pickpockets, la Lisbonne des drogués, des prostituées, des policiers corrompus… une Lisbonne bien éloignée de celle des guides touristiques.
Les lieux touristiques, les rues étroites de l’Alfama, les funiculaires, les miradors…sont bien présents mais comme endroits propices aux règlements de comptes, aux crimes, aux chutes ou aux suicides « accidentels »

Ce qu’il va découvrir au cours de ses recherches, en dépit de l’omerta qui règne dans ces zones marginales dépasse ce qu’il pouvait imaginer. Ces crimes, ces règlements de compte entre les immigrés…ne sont en rien des ‘incidents’, mais font partie d’un plan organisé pour nettoyer la ville de cette faune susceptible de porter préjudice à l’image de la ville.

Ces trois romans, comme la série des Touré, ont en commun une dimension socio-politique : la place des immigrés, la xénophobie, la corruption de la police et du pouvoir en général, la marginalisation sociale, la lutte pour survivre qui pousse à commettre des délits (trafic de drogue, vols…) voire à tomber dans la prostitution ou sombrer dans des addictions…

Avec La Banda de Arruti, son dernier roman publié en 2018, Arretxe change de registre. Cette fois, ses protagonistes ne sont plus des laissés-pour-compte contraints à traficoter pour survivre, mais de franches crapules ne reculant devant rien pour s’enrichir.
La trame de La banda de Arruti est une chasse au trésor conçue sur le principe du bouge-toi-de-là-que je m’y mette, menée à du cent à l’heure par une bande de pieds-nickelés sans scrupules.
L’histoire commence dans une prison où Gallego, le compagnon de cellule d’Ereño confesse à celui-ci l’endroit, le fond d’un étang, où est caché le butin du hold up d’une bijouterie.
Ereño “suicide” Gallego et, dès sa libération s’en va retrouver ses anciens condisciples, tous tombés dans la délinquance.
Il y a Delgado, adolescent il a tué son père à la suite de quoi sa mère s’est jetée par la fenêtre. Il a monté une histoire qui lui a permis d’éviter d’être condamné. A la suite de quoi, il est entré au séminaire et est devenu prêtre. Ce qui lui permet de fréquenter le monde des délinquants avec la bénédiction de sa hiérarchie.
Urrutxurtu est policier, du genre ripou.
Et Arruti est le patron respecté et redouté du trafic de drogue de la région.

Avec l’argent du butin, ils rêvent de partir en République Dominicaine. Mais aucun, dans son for intérieur, n’envisage de partager et chacun échafaude des stratagèmes pour se débarrasser des autres. Delgado tue Ereño et sera tué par Urrutxurtu et si Arruti ne tue pas Urrutxurtu, c’est parce quela boite censée contenir les bijoux ne contenait que des cailloux.

Urrutxurtu et Arruti vont donc devoir faire cause commune à contrecœur pour retrouver le complice de Gallego qui, sous la torture, va révéler la nouvelle cachette. Mais voilà que la boite au trésor est emportée dans la procession des Sanfaustines, ce qui va entrainer les deux larrons – et d’autres chasseurs – dans une poursuite épique, digne de la poursuite du Spectrede James Bond,[2]à pied d’abord, au milieu de la procession, en voiture ensuite sur la route de Madrid, poursuite qui se terminera de manière apocalyptique. Quant au trésor il s’est littéralement envolé.

Mais alors que l’on croyait que tout était terminé, coup de théâtre : il y a un nouveau dénouement inattendu, ouvert, qui en laisse présager un troisième. (ou une suite ?)

Bien qu’il y ait des scènes de violence, La Banda de Arruti ne manque pas d’humour, un humour noir évidemment.
Quant aux marginaux qui font partie de l »univers des romans d’Arretex, ils sont bien présents, mais comme le chœur d’une tragédie grecque, spectateurs dans un premier temps, complices malgré eux – quoique – dans la dernière partie.

Bref, un roman savoureux qui se lit d’une traite mais qui incite le lecteur à compléter son plaisir par une relecture – le roman est court – qui permet de percevoir les détails, les jeux narratifs indécelables à la première lecture trop captivante.

José Javier ABASOLO, El aniversario de la independencia Euskadi o el mito de Penelope (p.65)

Il s’agit d’un roman uchronique de politique-fiction dans lequel l’auteur imagine que le Pays Basque a enfin conquis son indépendance et qu’il se prépare à commémorer le premier anniversaire de celle-ci.

Afin de faire table rase du passé, le Pacte pour l’Indépendance a inclus une déclaration d’amnistie pour les anciens combatttants de l’ETA en intégrant une partie importante de ceux-ci dans les files de l’Ertzaintza (la police basque).

Cette convivialité imposée sera inévitablement une source de méfiance et de tensions entre ces anciens ennemis.

En outre, une mystérieuse organisation a surgi, les FUL (Front d’Unité et de Libérisation) qui revendique le retour au régime antérieur et utilise les mêmes pratiques que l’ETA, assassinats de policiers, tirs dans le dos, voitures piégées…

Les principaux protagonistes sont Jokin, un ertzaintza et son nouveau compagnon, Alex Pedrosa, ex-ETA. La collaboration ne sera pas simple, surtout parce que le meilleur ami de Jokin a été tué dans un attentat à la voiture piégée sous ses yeux. Ce n ‘est pas de l’histoire ancienne comme dit Alex. « De l’histoire ! De quoi tu parles, putain ! Moi, je continue à le voir, tout le temps, le matin, l’après-midi, le soir, et quand le soir dans mon lit, j’essaie de m’endormir, je continue à voir la jeep explosée, le corps d’Iker calciné, les larmes de Natalia quand je lui ai annoncé la nouvelle. Alors ne me viens pas maintenant avec de l’histoire ancienne, pour moi, elle est présente, vachement présente. »(p. 59)

Bon gré mal gré, ils sont contraints à collaborer et à mener à bien une première enquête l’assassinat d’une vieille dame, une affaire facile à résoudre puisque le suspect numéro un, le mari de la victime, a disparu.

Entretemps Sara, l’ex-compagne de Iker, qui est journaliste, prépare un reportage sur le nouveau terrorisme et sur son financement. Elle découvre l’identité d’un des assassins des ex-etarras. Une révélation bouleversante. Elle n’en dit rien et je n’en dirai pas plus non plus, si ce n’est que le roman prend une nouvelle direction.

Parallèlement aux investigations de Sara, Jokin et Alex ne restent pas inactifs. S’ils continuent à s’invectiver et à se chamailler, chacun, dans son for intérieur, est capable d’apprécier, sans le confesser, les qualités et le professionnalisme de l’autre. Ce que confirmera la suite de l’histoire.

Bien que l’assassinat de la vieille dame ait été classé sans suite, ils continuent à fouiller les à côtés de l’affaire, ce qui les mène à secouer un nid de guêpes.

A partir de ce moment, leurs vies sont en danger : Alex sera la cible d’un attentat manqué et Jokin devra fuir et se cacher à Madrid avant de tomber entre les mains de ses poursuivants.

La fin de l’histoire est un rien compliquée quand le narrateur devra démêler l’écheveau du montage machiavélique planifié par ceux qui se dissimulent sous les pseudo-FUL, des personnages cachés sous de faux noms, voire présumés disparus ou déclarés morts, des entreprises écran…

Le roman s’ouvre sur la scène cinématographique de l’attentat qui a coûté la vie à l’ami de Iker et se termine sur l’ouverture du journal parlé de la Radio Nationale d’Espagne dédié à la présentation de l’inauguration du musée ethnographique des peuples iberoaméricains. Comme cet évènement avait lieu le même jour que la commémoration de l’anniversaire de l’indépendance, le présentateur ne pouvait pas passer celle-ci sous silence en ajoutant insidieusement que cette commémoration avait été célébrée sans incidents et sans blessés.

[1] Shahamarán est une créature mythologique d’Asie centrale, la déesse gardienne des secrets. Bienfaitrice, elle est la messagère du bonheur Au Kurdistan, il est courant que les femmes décorent leur chambre avec des broderies représentant la déesse.

[2] Cette poursuite fait écho à celle de Touré dans le marché de Bamako dans Sombras de la nada

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