In memoriam Juan MARSÉ (1933-2020)

February 8, 2021
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Juan Marsé est un cas peu ordinaire dans la littérature espagnole. Issu de la classe ouvrière et des quartiers pauvres de Barcelone. Sa mère étant morte en couches, il est adopté par une famille. A 13 ans. Ilquite l’école et s’en va travailler comme apprenti dans une bijouterie de Barcelone. Autodidacte, son université, c’est la rue et les cinémas de quartier ; ses lectures, les bandes dessinées et les feuilletons populaires que l’on vend dans les kiosques.

Dans ses romans, il fait revivre le microcosme des quartiers populaires de la Barcelone de l’époque franquiste, une Barcelone multiculturelle et bilingue avec ses immigrés venus du sud, les « charnegos », qui baragouinent le catalan, avec ses enfants nés après la guerre et qui, nourris d’histoires vues au cinéma ou contées par leurs parents, mythifient, dans leurs jeux, ceux en qui ils croient voir des héros. Adieu la vie, adieu l’amour (trad. de Si te dicen que caí) s’articule autour des “aventis”, jeu que pratiquaient les enfants de ces quartiers populaires, à défaut de posséder des jouets. Il consistait à former un cercle et un des enfants racontait des histoires qu’il inventait, histoires dans lesquelles il introduisait des faits réels, qu’il arrangeait à sa manière, les mêlant à des épisodes vus dans les cinémas de quartier ou lus dans les bandes dessinées (les tebeos) et où devait nécessairement apparaître comme protagoniste un des compagnons présents.

Últimas tardes con Teresa, le roman qui le fit connaître a comme toile de fond la Barcelone des années 55-56 avec, d’une part, le monde universitaire en pleine effervescence idéologique et, d’autre part, le monde de l’émigration intérieure avec la présence de plus en plus forte de gens venus du Sud de l’Espagne. Ancien compagnon des communistes, il y décrit avec ironie les milieux progressistes estudiantins.

Le roman raconte l’histoire de Manolo, un de ces immigrés, surnommé Pijoaparte[1], petit malfrat, voleur de motos et son aventure amoureuse née d’un quiproquo avec Teresa, issue du milieu de la grande bourgeoisie barcelonaise. Teresa est étudiante gauchiste, ingénue, romantique et utopiste, qui s’en éprend croyant voir en lui le modèle du prolétaire révolutionnaire.

C’est le choc de deux cultures, de deux mondes, celui des étudiants progressistes qui, par idéologie, fréquentent – mais pas trop – la classe ouvrière et les jeunes du monde du travail, mal à l’aise dans un milieu qui n’est pas le leur, un milieu que, dans le fond, ils méprisent, même s’ils tentent d’en imiter les manières de vivre et de se comporter. « Pour lui, les étudiants étaient des animaux domestiques de luxe qui, en manifestant, démontraient qu’ils étaient une bande d’imbéciles et de minables […] En outre, [la bonne] lui raconta que Teresa sortait fréquemment avec de jeunes types extravagants et existentialistes – ce sont les mots que la bonne prononça, presque avec onction – des types bizarres, des étudiants barbus qui passaient leur temps à se téléphoner, à se donner des rendez-vous et à se prêter des livres… » ( pp. 82-83 de la septième édition revue par l’auteur en 1975).

On classe souvent Marsé dans la catégorie du « réalisme social ». Je préfère « génération des années 50 » dans laquelle il se retrouverait avec Vázquez Montalbán, Miguel Delibes, Eduardo Mendoza, excellents conteurs d’histoires, précurseurs de la génération dite de « La passion fabulatrice »

La plupart des romans de Marsé ont été traduits en français et réédités en collections de poche.

[1] On peut traduire ce surnom, comme cela a été fait dans la traduction française, par ‘ Bande à part’ en tenant compte du double sens du terme ‘bande’, pijo étant un des noms vulgaires qui désignent le pénis.

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