Alicia GIMÉNEZ BARTLETT, Donde nadie te encuentre

February 8, 2021
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Alicia GIMÉNEZ BARTLETT, Donde nadie te encuentre, Destino-Booket, 2012

Comme les comptes rendus de ce blog pourraient le faire croire, Alicia Giménez Bartett n’a pas écrit que des romans policiers. Si sa bibliographie est imposante, la critique et les lecteurs ont retenu essentiellement sa production dans ce genre.

En 2011, Alicia Giménez Bartlett avait écrit un roman assez différent qui mérite toute notre attention. Il s’agit de Donde nadie te encuentre [Là où personne ne pourra te trouver] lauréat du prix Nadal, l’équivalent du prix Goncourt en Espagne – ce qui n’est pas nécessairement un gage de qualité, sauf dans le cas qui nous concerne -.

Pour écrire ce livre, elle s’est inspirée de faits réels analysés dans une enquête menée par un journaliste d’investigation, José Calvo, enquête publiée dans un ouvrage intitulé La Pastora.del monte al mito, Edit. Antinea, Vinaros, 2009. [La Pastora, de la montagne au mythe] [1]

Dans Donde nadie te encuentre Alicia Giménez Bartlett imagine qu’un psychiatre français, Nourissier, professeur à La Sorbonne, à la suite de la lecture d’un article de presse sur La Pastora, s’est rendu en Espagne en 1956 pour retrouver et étudier la psychologie de cette femme, sorte d’androgyne, toujours habillée en homme, personnage célèbre des maquis [2] pour avoir défié la guardia civil pendant des années.

Nourissier contacte le journaliste auteur de l’article et l’engage pour l’aider dans ses recherches. Commencent alors des aventures donquichottesques avec un Nourissier aussi crédule que naïf et un Carlos uniquement intéressé par l‘argent. Cette expédition va se révéler difficile (Le bourgeois parisien va se trouver confronté à des conditions de vie inhospitalières), compliquée (personne ne sait où se cache La Pastora et ceux qui savent ne veulent pas parler par peur) et pleine de dangers et d’obstacles (harcèlement de la guardia civil, mélange de méfiance, voire de haine de la part des habitants de la montagne, trahisons,…) Bref, après avoir surmonté ces difficultés et bien des péripéties, Nourissier parviendra enfin à rencontrer La Pastora.

L’auteure en bonne technicienne du roman policier maintient le suspense jusqu’au dénouement plutôt inattendu que nous ne révèlerons pas.

En toile de fond, Nourissier nous fait découvrir l’Espagne profonde, misérable, arriérée de l’époque où se déroule l’histoire – nous sommes au début des années cinquante – avec la pénrie de biens de première nécessité, le poids de la dictature et de la corruption. Les temps étaient durs surtout pour les paysans qui, pour survivre, devaient composer avec les brigandages des maquisards et les exactions de la guardia civil.

Dans la rédaction de ce roman, Alicia Giménez Bartlett recourt à deux techniques, celle du roman criminel et celle du récit biographique.

Les chapitres qui narrent les recherches de Nourissier relèvent de la première technique, avec un narrateur omniscient qui narre les faits à la troisième personne et en bonne technicienne du roman criminel, l’auteure maintient le suspense jusqu’au dénouement plutôt inattendu que nous ne révèlerons pas. Ces chapitres alternent avec ceux écrits à la première personne – et dans une autre typographie – dans lesquels La Pastora de personnage se convertit en protagoniste-narratrice.

Si les chapitres consacrés aux errances de Nourissier sont pure fiction, sauf quand ils relatent des faits qui impliquent La Pastora, les chapitres dans lesquels La Pastora se raconte sont des adaptations novelisées du livre de José Calvo cité plus haut. Ce journaliste, en plus de ses recherches bibliographiques avait pu en effet s’entretenir avec La Pastora lors de son premier procès en 1961.

Dans les longs monologues que lui prête Alicia Giménez Bartlett, La Pastora, Teresa Pia Meseguer « La Bergère », raconte sa jeunesse, son aspect masculin et son comportement peu féminin qui lui valaient les invectives des gamins du village : « Teresot, Teresot, qu’est-ce que tu as entre les jambes ? ». Lasse des violences de la guardia civil et à l’instar de nombreux jeunes gens de cette époque, elle intégra le maquis, s’habilla comme un homme et se fit appeler Florencio.

Elle raconte son entrée dans le maquis et sa conversion de femme en homme comme s’il s’agissait d’un rituel d’entrée au couvent (coupe de cheveux, abandon de ses vêtements féminins pour revêtir les habits masculins,…)

Elle raconte surtout sa vie dans le maquis, la clandestinité, les combats, les conflits avec les paysans pour se ravitailler et obtenir un peu l’argent, les règlements de comptes avec les métayers qui les dénonçaient, le rôle hypocrite des commissaires politiques du Parti Communiste qui n’hésitèrent pas à accuser les derniers maquisards de trahison et à les abandonner à leur sort parce qu’ils refusaient de renoncer à la lutte comme l’ordonnaient les dirigeants réfugiés en France.

Dans une brève note finale, à partir du livre de Calvo, l’auteure récapitule les moments importants qui ont marqué les dernières années de la vie de La Pastora depuis sa sortie d’Espagne en 1956 jusqu’à sa mort en 2004, son séjour à Andorre, son expulsion et sa remis entre les mains de la police en 1960, le procès de 1961 et sa mise en liberté en 1977.

Sa masculinité fut reconnue quand on l’emprisonna mais elle dut attendre jusqu’en 1980 pour qu’elle soit officialisée.

[1] Depuis sa publication en 2009, ce livre a déjà donné lieu à une dizaine de rééditions.

[2] Beacoup de Républicains continuèrent la lutte antifranquiste dans les maquis et donnèrent pas mal de fil à retordre à la guardia civil. Beaucoup furent anéantis et à la dissolution de ceux-ci en 1952, pas mal de survivants rejoignèrent les rangs de la résistance française.. Sur cette période méconnue (il était interdit de parler de maquis ou de guerilleros pendant la dictature) , il faut lire les romans d’Alfons Cervera (Maquis, Ces vies-là, La couleur du crépuscule publiés à La Fosse aux Ours et l’admirable Lune de loups de Julio Llamazares publié aux éditions Verdier en collection de poche.

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