Michel CLAISE, Cobre

February 8, 2021
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Michel CLAISE, Cobre (Cuivre), Genèse édition, 2019 .

Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront jamais le printemps (Pablo Neruda)

Michel Claise, mieux connu comme juge intègre, spécialiste de la criminalité en col blanc, auteur du remarquable Essai sur la criminalité financière, Le club des Cassandre. a aussi écrit quelques romans noirs bien ficelés. (Mais où trouve-t-il le temps ?)

Le titre, Cobre, ne doit pas induire le lecteur en erreur. Il s’agit bien d’un ouvrage écrit en langue française. Pourquoi alors avoir choisi le terme espagnol ? Parce que « el cobre » était – et est encore – la richesse du Chili. Le président Allende décide de nationaliser les mines de cuivre au grand dam des multinationales, surtout américaines, qui les exploitaient à leur profit.[1] Parce que aussi les transformations que subit le cuivre symbolisent l’évolution de Pedro Correa, le principal protagoniste.

Cette réédition tombe à pic, avec les nouvelles manifestations de colère au Chili auxquelles le gouvernement répond en envoyant les militaires pour mater les contestataires. Cette politique a des relents de pinochetisme (rafles, violences démesurées envers les manifestants, arrestations musclées…) ; avec la montée de l’extrême droite, de sa violence, de son racisme et de sa xénophobie dans des pays qui étaient des démocraties ; avec le succès aussi de films comme La cordillère des songes de Patricio Guzmán ou de Nuestras madres de César Diaz qui a pour sujet le coup d’état contre le régime démocratique que tentait de construire le Colonel Arbenz au Guatémala en 1954.[2] L’histoire ne fait que se répéter. Heureusement que l’art, la littérature et le cinéma sont là pour ranimer le devoir de mémoire.

Cela va faire bientôt un demi-siècle que l’armée chilienne commandée par le Général Pinochet, avec l’accord et le soutien financier de Nixon président des U.S.A, de Kissinger et de la C.I.A., mit fin par la violence à l’état démocratique que le Président élu du gouvernement venait de mettre en place. Officiellement ce coup d’état avait pour objectif de mettre fin à un nouvel état « communiste ». En réalité, le but était de faire main basse sur le cuivre et d’imposer le libéralisme. Cet épisode remonte sans doute déjà trop loin, ce qui explique qu’aujourd’hui on n’en parle plus guère et que les jeunes en ignorent même l’existence. Cependant, à la même date anniversaire, le 11 septembre 2001, eut lieu l’attentat contre les tours jumelles de New York que l’on continue à commémorer, à juste titre depuis près de vingt ans. Pourtant le nombre de victimes est de loin inférieur aux victimes du coup d’état de Pinochet et de sa junte militaire : Plus de 3200 morts, 150.000 prisonniers politiques, autour de 38000 disparus et des milliers d’exilés. Et pas de commémoration. Parfois un bref rappel aux informations, sans plus.

L’histoire de Cobre est basée sur des faits réels, celle de Pedro Correa (nom officiel du protagoniste principal) et sur des histoires vécues par des ex-prisonniers politiques et des exilés que l’auteur a rencontrés.L’histoire se déroule entre le 9 septembre 1973, c’est-à-dire deux jours avant le coup d’état, jusqu’au début de décembre de la même année avec un premier dénouement que je ne vais pas révéler. Après avoir évoqué la journée du 11 septembre à Santiago, les rafles des présumés marxistes, leur confinement dans le stade, les tortures, le bombardement du palais présidentiel et les derniers instants d’Allende, le roman enchaîne avec l’histoire de Jorge Correa, jeune journaliste chargé de la communication du président.Avant de vivre ses derniers instants, Allende lui a confié la mission secrète de remettre une mallette qui contient des documents importants à Fidel Castro.

C’est le début d’une chasse à l’homme passionnante entre le commissaire Ramón Gil, le meilleur policier du Chili et le fugitif rusé comme un renard qui pourra compter sur des complicités imprévisibles. Cette chasse à l’homme commence à Santiago le jour même de la mort d’Allende pour se terminer dans les geysers du Tatio en passant par le camp de concentration de Chacabuco, la mine de cuivre de Chuquicamata et San Pedro de Atacama où Pedro Correa recevra l’aide du père Le Paige[3] Homme de devoir, Ramón Gil obéit aux ordres bien qu’il soit horrifié quand il découvre les méthodes de Pinochet, au stade national d’abord, quand ses investigations l’entraînent ensuite dans le camp de concentration de Chacabuco. Cet endroit sinistre est installé au milieu du désert d’Atacama dans une ancienne ville créée autour d’une carrière de salpètre. [4]

Après un interlude illustré par des poèmes de Pablo Neruda, l’histoire se terminera sur un dernier dénouement tout à fait inattendu.

On retrouvera Pedro Correa en décembre 1990, après l’investiture de Patricio Aylwin comme président du Chili, à Santiago, là où elle avait commencé, au restaurant de Ricardo où il fait la fête avec ses amis. Il y trinque aussi avec le commissaire Ramón. Dans cette ambiance conviviale, celui-ci lui fait quelques confidences qui apporteront un nouvel éclairage sur certains épisodes de la traque. En bon auteur de romans policiers, Michel Claise sait entretenir le suspense. Et en bon connaisseur des mœurs du pays ou de la littérature d’Amérique latine ou les deux à la fois, il n’omet pas de glisser des allusions au chamamisme, ni au machisme dont n’est pas exempt Pedro Correa.

Et, maintenant que le Chili après le départ de Pinochet a retrouvé la voie de la démocratie, Cobre est aussi une invitation au voyage sur les pas de Jorge.

Petite lecture apéritive.

(Jorge se cache depuis deux mois dans la cave du restaurant de son ami Ricardo ) – Bon sang, Jorge, je viens d’avoir la trouille de ma vie ! C’était la première fois que Ricardo jaillissait dans la cache improvisée en fin d’après-midi. Jorge sorti soudain de sa torpeur, s’était redressé trop vite sur le matelas et fut pris d’un étourdissement. – Qu’est-ce qui se passe ? Par réflexe, il chercha la précieuse mallette des yeux. Elle était toujours à sa place. – Je viens de recevoir la visite d’un commissaire de police. Il m’a donné sa carte. Il la tendit à Jorge qui lut : Commissaire Ramón Gil. – Ce type est à ta recherche. Il m’a posé un tas de questions sur toi, si je t’avais revu depuis le coup d’Etat et comment te retrouver…Je n’ai plus un poil de sec; (p. 65) […] Le policier posa encore plusieurs questions. A la plupart, Ricardo n’avait même pas de réponse, tant cela touchait à la vie privée de son ami. – Bien, cher Monsieur, nous ne vous retenons pas plus longtemps… Le commissaire balaya du regard la salle du restaurant. Elle était bien tenue, très agréable. Quand je reviendrai…(Ricardo frémit)… Ce sera comme client avec ma femme. A bientôt.

Notes

[1] A sa sortie des hauts-fourneaux, le cuivre était mouié en forme de grandes roues que le s Américains achetaient en pesos chiliens, tandis que les Chiliens devaient importer toute la machinerie nécessaire à l’extraction et à la première transformation du cuivre en payant en dollars. Les transformations suivantes, de la récupérations d’autres minerais jusqu’aux produits finis et à la commercialisation, se faisaient aux U.S.A avec la plus-value que l’on devine. D’après des estimations, le cuivre rapportait 95% de sa valeur aux Américains contre 5% seulement aux Chiliens.

[2] C’est aussi l’occasion de (re)lire Week-end au Guatemala, de Miguel Ángel Asturias.

[3] Le père Le Paige était un jésuite belge né à Tilleur près de Liège. Curé de San Pedro de Atacama, il s’intéressa à l’ethnographie et à l’archéologie. Il a ouvert un musée où on peut voir l’extraordinaire momie d’une jeune femme, baptisée « Miss Chili » parmi les quelque 300.000 pièces de sa collection.

[4] L’exploitation du salpêtre, richesse du Chili avant le cuivre, détenue par des compagnies anglaises se termina à la fin de la première moitié du XXe siècle et les villes qui hébergeaient les patrons et les ouvriers furent abandonnées. Aujourd’hui elles sont devenues des villes fantômes avec leurs engins rouillés, les maisons ouvrières en ruine, les piscines et les théâtres délabrés. L’écrivain Rivera Letelier, originaire de cette région a écrit plusieurs romans remarquables sur la vie, les occupations, les superstitions et les fêtes souvent agitées de leurs habitants : La Reine Isabel chantait des chansons d’amour [La Reina Isabel cantaba rancheras], Mirage d’amour avec fanfare [Fatamorgana de amor con banda de música], La Raconteuse de films [La contadora de películas], tous parus aux éditions Métaillé.

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