Et si on s'intéressait un peu aux auteurs basques ? (4)

February 7, 2021
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Jon ARRETXE, Shahmarán, Édition Erein, 2009.

Les Turcs que tu croises dans la rue ont l’air de miséreux, mais avec l’argent qu’ils gagnent ici, ils sont riches dans leur pays. Il faut voir. Il faut voir les pavillons qu’ils construisent quand ils retournent chez eux ! Bien sûr, ici ils ont tous les services gratuits, ils reçoivent des aides, des subventions… Et au bout du compte, ils sont pleins aux as ! Et ils vivent mieux que nous !

A la suite de l’exécution du père de famille et de l’aîné des enfants par l’armée turque, les survivants de la famille de Kawa ont du fuir leur village au Kurdistan.

Shahmarán raconte comment se débrouillent les immigrés pour survivre dans un environnement indifférent quand il n’est pas franchement hostile

Tandis que le deuxième fils et sa sœur ont émigré en Allemagne, Kawa, le cadet s’est arrêté à Istanbul pour s’occuper de sa mère qui souffre de pertes de mémoire, se déplace en chaise roulante et rêve de rentrer au pays pour célébrer le mariage de sa fille, ce qui donne lieu à des scènes émouvantes.

A Istanbul, Kawa n’a qu’un seul ami à qui se confier, Zinar, propriétaire d’un étal de fruits secs et de sangsues dans le bazar.
Zinar sert aussi d’intermédiaire entre Kawa et des commanditaires anonymes qui l’engagent comme tueur à gages. Sa rémunération est calculée en fonction du nombre de personnes qui vont pleurer le mort. Ces travaux lui payent à peine de quoi offrir un petit cadeau à sa mère (quelques cerises, un pain de sésame,…) petits riens qui lui apportent un peu de bonheur. Cependant, comme un petit employé modèle, il exerce son travail, comme un travail de routine sans se poser de questions.

Un jour, il confie la garde de sa mère à Zihar et part en Allemagne pour voir son fère et sa sœur. Mais les choses ne se passent pas comme prévu. Il découvre la xénophobie ambiante, il se heurte aux problèmes des différences de langue et de culture… Il ne reconnaît plus son frère qui a bien changé. Il s’est modernisé, a des amis peu recommandables, veut lui faire épouser une Kurde et, en plus, lui apprend qu’il n’a aucune idée de l’endroit où peut se trouver sa sœur qui a disparu, ce qui semble ne pas le préoccuper.
Lassé par le verbiage de son frère, il décide de partir à la recherche de sa sœur et ce qu’il va découvrir donne froid dans le dos, surtout quand , par hasard, dans la chambre de celle-ci il tombe sur son journal intime en décrochant une image encadrée de Shahmarán.

Je ne raconte pas la suite pour respecter un dénouement qui fait que le lecteur s’interroge sur son processus de lecture antérieur et ne pas révéler non plus un suspense qui débouche sur une fin inattendue, tragique et poignante.

Shahmarán est un roman noir, très noir, avec des protagonistes sans foi ni loi. Même Kawa, empreint de bons sentiments, n’échappe pas à la règle dans cet environnement de manipulateurs et d’exploiteurs.

Lire un extrait

[C’est la mère de Kawa qui parle]Tu ne devinerais jamais qui est venu me voir juste avant que tu ne reviennes !
[…]- Zinar. Il est arrivé avec ton père, avec Asó y Rodar et avec mes parents et mes oncles. Ils se tenaient tous par les bras. Ils étaient accompagnés de musiciens, comme dans le temps. Tu te souviens ?Avec la différence que cette fois le brave Zinar était là aussi. Qu’est-ce que j’étais contente – Et ils m’ont invitée à aller avec eux, mais je ne savais pas quoi faire, si je devais me lever ou pas. À la fin, je leur ai dit qu’ils attendent jusqu’à ce que tu reviennes – la femme fit une pause pour récupérer après cette excitation – que c’était bien de revoir la famille de nouveau réunie à Dogu ! Mais, tu ne les as pas vu ? Ils n’étaient pas en bas ?
– En bas il n’y a personne, maman. Ici nous sommes à Istanbul et tu t’es remise à rêver.
— A Istanbul ?
— La vieille se tut et resta tête basse, assise dans son lit comme chaque fois qu’elle revenait à la réalité.

[1] Shahmarán est un être mythologique de l’Asie Centrale […] Il est courant au Kurdistan que les femmes décorent leur chambre avnc des dessins et des broderies qui représentent Shahmarán. (note de l’auteur).

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