Toni HILL, El verano de los juguetes muertos

February 8, 2021
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Toni Hill (1966) fait une entrée fracassante avec El verano de los juguetes muertos Debolsillo, 2011 (L’été des jouets morts, Flammarion, 2014)), qui en était à sa deuxième édition en juin de la même année. Depuis, il a déjà été traduit en 16 langues.

Le décor est la ville de Barcelone, non celle des bas-quartiers ni celle des touristes, mais la Barcelone de tous les jours où les gens mènent une vie normale.

Le protagoniste est l’inspecteur Héctor Salgado, argentin d’origine, un homme quelconque qui ne boit pas, mais fume beaucoup et pratique le jogging. Il vit mal, mais comprend bien sa mise à l’écart pour une bavure qu’il a commise. Il a sérieusement tabassé Omar, un « médecin » africain soupçonné d’être à la tête d’un réseau de prostitution et de traite des femmes.

Pour occuper Salgado, le commissaire Savall qui a beaucoup d’estime pour son subordonné, le charge d’une enquête non officielle pour rendre service à une amie. Marc, le fils de celle-ci s’est tué en tombant d’une fenêtre la nuit de la Saint Jean. Tout indique qu’il ne peut s’agir que d’un accident ou d’un suicide, mais la mère ne croit pas en ces versions. La mission imposée à Selgado est de confirmer une de ces thèses afin que la mère puisse faire son deuil.

En fouillant dans la vie des deux seuls témoins des derniers moments de Marc, Aleix, son ami et Gina, sa petite amie, complètement ivre au moment des faits, Salgado découvre que tant Aleix que Gina pouvaient avoir des raisons d’en vouloir à Marc, mais de là à le tuer,…Le suicide ( ?) postérieur de Gina ne fera qu’accroître le mystère et l’enquête menée cette fois dans la vie de ces deux familles bourgeoises, catholiques et conservatrices va mettre à jour des non-dits et de sordides secrets soigneusement occultés.

Salgado, qui doit agir avec d’autant plus de discrétion qu’il est soupçonné, témoignages à l’appui, de continuer à harceler Omar, est aidé efficacement par deux policières qui n’hésitent pas a prendre des risques pour couvrir un patron qu’elles estiment.

Le roman s’ouvre sur un très bref chapitre intitulé Hier où il est question d’une enfant, Iris, noyée dans une piscine entourée de ses poupées. Dans la suite, il ne sera plus question de cet épisode avant la page 220 quand, dans un long courriel de Marc on retrouve le texte intégral de cet incipit que le lecteur, comme le narrateur, avaient presque oublié « Cela fait longtemps que je ne pense plus à Iris ni à cet été quand elle mourut »[1], Or, cet incipit remplit une fonction essentielle puisqu’il contient une des clés des énigmes.

Contrairement aux romans criminels où deux affaires apparemment différentes se rejoignent au dénouement, dans El verano de los juguetes muertos, l’histoire d’Omar continue à poursuivre Salgado en le contraignant à la plus grande prudence, l’obligeant même à déléguer une part de ses investigations à ses adjointes.

Contrairement aussi aux autres romans criminels, la résolution des énigmes se fonde plus sur l’exploitation des technologies modernes que sur les interrogatoires : le web, le courriel et, surtout, sur une mystérieuse clé USB.

El verano de los juguetes muertos est un roman profondément ancré dans la réalité. Les protagonistes sont des gens quelconques représentatifs de la société contemporaine. Salgado est un quadragénaire posé, séparé de sa femme, il a un fils dont il n’a guère le temps de s’occuper ; il est secondé par deux sous-inspectrices, Leire Castro, une femme moderne et délurée et Martina Andreu, une ménagère très conventionnelle ; le père de Marc s’est remarié et a adopté une petite fille ; la famille d’Aleix est bourgeoise et ultra-catholique (l’oncle d’Aleix est prêtre), ce qui ne l’empêche pas de dissimuler des actes peu conformes avec l’image qu’elle donne à voir,…

Et, en toile de fond, mais bien présents, les problèmes de notre société comme la traite des femmes et la violence qui l’accompagne, la pédophilie et les non-dits qui l’occultent.

Son deuxième roman, Buenos suicidas [De bons suicides] a paru aux éditions Debolsillo en 2012. On y retrouve les protagonistes de El verano de los juguetes muertos : l’inspecteur Héctor Salgado, les deux sous-inspectrices, Leire Castro et Martina Andreu et le commissaire Savall.

La situation de Salgado n’est guère brillante : il est toujours sous le coup d’une sanction administrative qui pèse sur lui à la suite d’une intervention un peu trop musclée. (fr. le roman précédent) ; Ruth, sa femme qui l’avait quitté a disparu et il est en conflit ouvert avec un autre inspecteur de son commisariat chargé précisément d’enquêter sur cette disparition. Savall lui a formellement interdit de se mêler de cette affaire. Mais c’est sans compter sur l’aide officieuse de ses deux collaboratrices.

Le roman s’ouvre sur un prologue traité à la manière de la relation d’un fait-divers aussi atroce qu’inexplicable : un père de famille normal, Gáspar Ródenas, « bien éduqué », jouissant d’une situation économique confortable – il vient de recevoir une promotion – tue sa femme et sa fille sans motif apparent puis se tire ne balle dans la tête. Peu de temps après, Salgado est appelé pour constater la mort d’une femme dans une station de métro. S’est-elle jetée sous le métro comme tout porte à le croire ou a-t-elle été poussée ? L’affaire n’est pas claire. Salgado est intrigué par le fait que le téléphone portable de la femme est totalement vide à l’exception d’une photo qui représente des cadavres de chiens pendus à un arbre, photo accompagnée du message « n’oublie pas ». Au cours de ses investigations, l’inspecteur découvre que Sara Mahler travaillait dans la même entreprise que Gáspar Ródenas. Quand une troisième employée de cette entreprise sera retrouvée morte à son tour, pour Salgado cela ne fait aucun doute que les trois morts sont reliées entre elles. En outre, tous les membres de cette entreprise qui avaient participé à un team building, parmi lesquels figuraient les trois suicidés ont reçu la même photo et le même message envoyés anonymement. Que s’est-il passé lors de ce jeu d’entreprise ? Quel secret partagent les participants ? Lequel d’entre eux a trahi ce secret ? Les « suicides » dissimuleraient-ils une vengeance ? L’enquête emmènera Salgado dans ce microcosme qui se révèle être un monde sordide, un véritable panier de crabes, englué dans ses secrets d’alcôves.

Si Salgado parvient à résoudre cette enquête, il n’en est pas de même pour les recherches entreprises par les deux sous-inspectrices pour résoudre la disparition de Ruth. (ce qui fait penser qu’il y aura un troisième roman).

La composition présente des points communs avec El verano de los juguetes muertos : un prologue, deux enquêtes parallèles, mais qui cette fois ne se rejoignent pas.

Les personnages sont empreints de plus d’humanité : le caractère impétueux de Salgado, ses relations avec son fils, avec Savall et avec Lola, son ex-maîtresse, les relations entre Leire (enceinte) et son compagnon Tomas, le pourquoi du caractère asocial de Sara Mahler, l’ambivalence sexuelle de Ruth, l’ombre des « enfants disparus »…, tous ces éléments confèrent une plus grande densité au roman.

Le suspense est maintenu jusqu’aux dénouements (inattendu pour l’enquête de Salgado, engagé dans une voie sans issue pour celle des sous inspectrices)

Buenos suicidas, comme tout bon roman à énigme, exige une grande attention de la part du lecteur, voire une relecture de certaines pages en fonction de petits détails apparemment sans grande importance glissés ça et là, détails qui permettaient – auraient permis – au lecteur de résoudre l’énigme avant le narrateur.

Etrangement, vu le succès du premier roman, celui-ci n’a pas (pas encore ? ) été traduit en français.

Le troisième roman de Toni Hill, Los amantes de Hiroshima, Debolsillo, 2014, vient se sortir en librairies. Tout comme les romans précédents, il accroche le lecteur dès les premières lignes. Comme je viens seulement de l’aborder, le compte rendu suivra bientôt.

[1] T. Hill, El verano de los juguetes muertos, pp. 11 et 220.

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