Aro SAÍNZ DE LA MAZA, El asesino de la Pedrera - Le bourreau de Gaudi


Pour ses débuts dans le genre, Saínz De La Mata n’a pas fait dans le détail et n’a pas craint de décourager le lecteur potentiel avec ce thriller de 578 pages. Son éditeur, conscient du risque, n’a pas hésité à le mettre sur le marché à un prix défiant toute concurrence. Cette pratique commerciale a atteint son objectif puisque à l’heure actuelle, le roman en est déjà à sa deuxième édition et a été traduit en plusieurs langues, dont le français. En général je me méfie des « meilleurs ventes » souvent décevantes pour le lecteur un rien exigeant. Ce n’est pas du tout le cas pour ce roman. S’il accroche le lecteur dès le début, ce n’est déjà pas pour des raisons habituelles, mais par un jeu entre le paratexte, le péritexte et le texte.[1] Pour faire simple entre la couverture, le titre, l’épigraphe, le prologue et le texte. Quel rapport – il y en a toujours un –entre la citation de William Blake : « Les joies fécondent. Les peines accouchent. », le prologue énigmatique et le texte résumé dans la quatrième de couverture ?
Le premier crime, horrible comme le seront les deux suivants est conçu comme une mise en scène digne des films d’horreur : la victime, Pinto, un ex-conseiller de la Generalitat, a été pendue pas les pieds à un balcon de la façade de La Casa Milà (La Pedrera) après avoir été séquestrée et torturée avant d’être brûlée vive. En outre, pour parfaire la mise en scène, l’auteur du crime s’est organisé pour que toute la mise à mort soit filmée par les caméras de surveillance.
La juge Susana Cabot exige que l’enquête soit confiée au sous-inspecteur Milo Malart bien qu’il ait été écarté du service pour des raisons disciplinaires. Un fichu caractère, mais dont les compétences ne sont contestées par personne. On lui adjoint la sous-inspectrice Rebeca Mercader.
L’enquête se révèle compliquée à cause, paradoxalement, de la multitude d’indices laissés par l’assassin : la mise en scène du crime donnée à voir aux caméras de surveillance, la préparation du crime, les graffitis dont ce G majuscule écrit à même le sol (symbole maçonnique ou G de Gaudi ?) et une cassette video.
L’hypothèse de Milo est que ce crime n’est que le premier d’une série et que son auteur utilise une œuvre de Gaudi pour tuer et nuire à la ville de Barcelone qui va bientôt accueillir le pape. Ses collègues, jaloux de sa réinsertion dans le service, se gaussent de cette hypothèse
Pourtant les faits donneront raison à Milo avec la disparition suivie de l’assassinat de Torrens, président du Cercle Gaudi. Cette fois l’endroit choisi par l’assassin est le Parque Guell et plus précisément le mirador « Turó de les Tres Creus ». Le modus operandi est semblable à celui du crime précédent. Torrens est attaché à la plus grande des croix et brûlé vif pendant que son assassin filme ses derniers moments avant de remettre la cassette à Navarro, le présentateur de l’émission « le bourreau de Gaudi », émission phare d’une chaîne de télé-poubelle. Navarro diffuse cette cassette comme les suivantes qui lui seront envoyées par l’auteur des crimes, cassettes qui montrent les conditions de séquestration des victimes.
Envers et contre tout, Milo explore la moindre piste et découvre progressivement des pièces d’un puzzle de plus en plus difficile à reconstituer. Il découvre que vingt ans avant, une vague de crimes en série avait eu lieu à Barcelone et qu’il existe des similitudes entre ces crimes et ceux sur lesquels il enquête. Un seul ou plusieurs assassins ? Il découvre que Pinto et Torrens ne sont pas des enfants de chœur ; le premier a contribué à l’expulsion de locataires endettés tandis que le deuxième a été mêlé à une sordide affaire dans le passé. Bref, tous deux ont semé la haine sur leur chemin et pas mal de gens ont des raisons de se venger.[2]
Les investigations de Milo, en révélant le passé de ces personnalités, risquent de provoquer des dégâts collatéraux qui risquent d’entacher la réputation de pas mal de personnes haut placées. Des pressions sont exercées sur la hiérarchie de Milo et il s’en faut de peu pour qu’il soit déchargé de l’enquête.
La panique s’installe quand la juge Cabot est enlevée à son tour. Une course contre la montre commence parce que Milo sait, pour avoir visionné les cassettes diffusées par Navarro, qu’il ne dispose que de cinq jours pour éviter que la juge ne subisse le même sort que Pinto et Torrens. Encore faut-il découvrir l’endroit où elle est séquestrée. Le suspense atteint son climax. Je n’en dirai pas plus pour ne pas déflorer le dénouement.
Avec le sous-inspecteur Milo Malart, Saínz De La Mata a créé un personnage hors du commun. Solitaire, têtu comme une mule, caractériel, il n’a pas que des amis. Du point de vue professionnel, même s’il a une manière bien particulière de travailler, tous s’accordent sur ses compétences. Et même si ses collègues lui montrent qu’il risque de faire fausse route, il n’en démord pas. Et ce n’est pas sa hiérarchie qui le fera changer d’avis.
Il vit en permanence avec un sentiment de culpabilité à la suite de la mort de son neveu, un gamin de quatorze ans, qui s’est suicidé avec son arme de service.
Un autre personnage bien campé est Rebeca Mercader, l’adjointe de Milo, sur qui celui-ci passe ses colères. Une femme patiente, attentionnée, perspicace, qui veille à ce que les débordements de Milo ne dépassent pas trop les limites et qui agit dans son ombre avec une grande efficacité professionnelle.
Bref, tous deux ont une identité propre, une forte personnalité, au même titre que les Carvalho, Méndez, ou autres Sam Spade, Maigret, Poirot,…
On attend de revoir ces personnages dans un prochain roman.
L’autre protagoniste est la ville de Barcelone sur laquelle plane le fantôme de Gaudi. C’est à une véritable promenade sur les pas de celui-ci – et des mystères qui l’entourent – que nous emmènent Milo et « le bourreau de Gaudi. »
Mais c’est aussi la Barcelone d’aujourd’hui, avec pour les uns la crise économique, les expulsés (los desahucios), les anti-système,…; les parties fines, la corruption, les détournements de l’argent public,…pour les autres.
El asesino de la Pedrera est un thriller noir, d’une noirceur parfois horrible. C’est aussi un roman qui demandait à être parfaitement structuré, un roman qui, en effet, aurait pu être complexe à cause de la multitude de personnages et des histoires qui s’inscrivent dans l’histoire. Aucun protagoniste, si secondaire soit son rôle, n’est inutile. Aucune histoire n’est gratuite. C’est pourquoi, il faut souligner la composition remarquable qui permet au lecteur de ne pas perdre le fil conducteur.
[1] Selon la terminologie de Genette (in Palimpsestes, Seuils,…)
[2] Cette histoire de crimes motivés par la vengeance et perpétrés dans des lieux symboliques n’est pas sans faire penser au roman de Petros Markaris, Liquidation à la grecque.