José LUIS MUÑOZ, El bosque sin límites

February 8, 2021
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JOSÉ LUIS MUÑOZ, El bosque sin límites, Ed. Atlantis, 2009

Le nationalisme est le délire d’exaltés condamnés à perdre par indigestion d’une mauvaise histoire. (Miguel de Unamuno)

El bosque sin límites [Hors limite ]est le dernier volet d’une tétralogie sur la thématique de l’ETA. Les trois premiers volets s’intitulaient respectivement : La caraqueña del Mani, (2007), Tu corazón Idoia (2011) et Cazadores en la nieve (2016) [1]

L’histoire se déroule en 1984 dans le contexte d’un terrorisme débridé dans lequel l’ETA affronte les représentants des autorités espagnoles et les sicaires des GAL.

Le roman s’articule autour de trois protagonistes : le lieutenant colonel Rodrigo Méndez, un militaire modéré, libéral, bon père de famille. Ugaitz, son fils, intelligent, cultivé, érudit, cinéphile averti, mais crédule et son ami Ander, sympathisant de la cause basque.
Rodrigo Méndez, le colonel est un militaire accompli, fidèle à son devoir. « Je ne suis pas faschiste, je n’aimais pas Franco. Ça va ? Je suis pour la Constitution, pour la démocratie et pour le roi. Mais je suis contre le stupide indépendantisme, contre le terrorisme etarra que vous encensez dans votre feuille de chou. » (p.63) Dans le privé, c’est un père aimant qui comprend la rebellion de son fils sans s’y opposer formellement, mais en le mettant en garde. Il n’est pas dupe et sait très bien que son fils participe aux manifestations de rue. Ugaitz entretient de bonnes relations avec ce père qu’il aime et qu’il respecte. Son opposition est moins idéologique que générationnelle. Il se trouve dans une position schizophrénique : il a grandi au Pays basque, ses amis sont basques et luttent contre “l’occupation espagnole”. il se sent plus basque qu’espagnol, d’autant plus que son meilleur ami d’enfance à été torturé et assassiné par la Guardia civil. Mais il dissimule à ses amis que son père est militaire. Il gagne sa vie comme chroniqueur cinématographique dans une revue basque (trop basque pour son père). Mais bien qu’il ait passé vingt ans, il reste un adolescent attardé, maladroit en amour, admiratif devant les exploits sexuels et batailleurs de ses copains. Un oiseau pour le chat comme l’ont bien compris Ander et ses chefs.

Ander est l’antithèse d’Ugaitz, un fanfaron aux allures du Grand Coquin de Pinoccio. un fanatique au quotient intellectuel limité, sans scrupule, homophobe et obsédé sexuel de surcroit. Il partie d’un commando d’etarras composé de gens de son acabit. Leur machisme est à la hauteur de leur fanatisme. Ils traitent les femmes comme des objets sexuels et n’hésitent pas à les envoyer à la mort à leur place. Paradoxalement, Ander et ses complices n’hésitent pas à inclure dans leur tableau de chasse, les dealers qui corrompent la jeunesse et à  les éradiquer au nom de l’assainissement de la société.

Autour de ce trio gravitent quelques personnages secondaires : la mère d’Ugaitz qui vit dans la peur et sollicite son mari pour qu’il demande un changement d’attributions qui l’éloignerait du Pays basque. Edurne, une collègue de travail dont Ugaitz est secrètement amoureux et “El socorro rojo”, fille d’un médecin, elle a rejoint les rangs de l’ETA par dépit amoureux,. C’est une nymphomane qui fera l’initiation sexuelle de Ugaitz.

Dans un troisième cercle, on trouve les sympathisants de l’ETA qui œuvrent dans l’ombre pour protéger Ugaitz, Ander et son groupe entre deux actions en les mettant momentanément à l’abri dans des cachettes dissimulées en France et en Espagne.

Comme Ugaitz a accès au bureau de son père, l’ETA, par l’intermédiaire d’Ander, commencera par lui demander des petits services apparemment anodins, comme lui transmettre la fiche d’un gradé… C’est le début d’une descente aux enfers. Elle lui apprendra ensuite à se servir d’une arme pour finalement lui donner l’ordre de tuer son père dans le cadre d’un assassinat programmé. « Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir dans nos rangs un individu qui pour des raisons d’ordre sentimental pourrait nous dénoncer et faire marche arrière […] J’insiste : tant qu’il ne liquidera pas son père, je ne l’admettrai pas dans l’Organisation. C’est seulement alors qu’il aura prouvé qu’il est corps et âme avec nous. » (p. 141)

El bosque sin límites, est un tragédie classique habillée en thriller contemporain véhiculée par une remarquable maîtrise de l’écriture qui alterne les propos péremptoires, dogmatiques, manichéens des uns (la bande à Ander) exprimés dans une langue rudimentaire, voire ordurière avec les propos tout en nuance des autres (le Colonel Rodrigo Méndez, Edurne)

Au fanatisme des uns, le roman oppose l’humanité des autres. L’image qu’on se fait de l’ETA ne sort pas grandie à la lecture de ce livre. Le radicalisme primaire de ses membres les a convertis en êtres qui n’éprouvent aucune pitié ni envers leurs ennemis “il ne faut jamais les tuer de face, tu pourrais t’apitoyer. Les yeux fixés sur la nuque, sinon tu humanises l’objectif “ (p. 171) ni même envers les sympathisants de leur cause qui n’hésitent pas, au péril de leur vie, à leur venir en aide. Au moindre soupçon, fondé ou non, ils les éliminent de sang froid. “ Il [un paysan qui leur transmet des informations et leur apporte de la nourriture] mourra, un jour ou l’autre, il mourra. Quand il ne nous sera plus utile, il sera exécuté. (p. 226).

A l’heure des attentats terroristes, de la montée du racisme et de l’homophobie d’une extrême droite tout aussi radicale, ce dernier roman de José Luis Muñoz a une portée universelle.


[1] Cazadores en la nieve a fait l’objet d’une présentation dans ce blog.

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