David VAN REYBROUCK, Zink

February 8, 2021
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David VAN REYBROUCK, Zink, Actes Sud, 2016

Le laiton est produit à partir d’une pierre légère appelée cadmia et célèbre en Asie. On dit qu’elle apparaît aussi dans la province de Germanie (Pline l’Ancien)

Un petit plongeon dans l’histoire, à usage des lecteurs (et des autorités belges !)

La Belgique est un pays trilingue (français, néerlandais, allemand) et non bilingue (français, néerlandais). Pourtant, sur mur devant lequel se font les déclarations officielles des porte-parole du gouvernement en cette période de Covid19, on ne peut lire que « Belgique » et « België ». Les Belges germanophones habitent les Cantons de l’Est, et non « Les pays rédimés ». C’est ringard et insultant à leur égard. La frontière linguistique interne entre francophones et germanophones n’a pratiquement pas changé depuis le 9ème siècle et il n’y a pas de conflit à ce sujet. Les Belges germanophones sont très accueillants et acceptent qu’on leur parle en français. Ils ont leur gouvernement qui est un modèle de démocratie. C’est la minorité la mieux protégée d’Europe. Pourtant l’histoire ne les a pas gâtés. En 25 ans, ils ont connu 2 guerres et 3 nationalités.

Zinc, au titre peu accrocheur, est une perle rare que nous conte brièvement – en moins de 70 pages – et remarquablement David Van Reybrouck, l’auteur du non moins remarquable – mais plus épais – Congo Une histoire. Cela pourrait-être aussi La Belgique et l’Allemagne, une histoire d’amour et de désamour ou Comment les grands traités se soucient comme un poisson d’une pomme des conséquences de leurs décisions sur la vie quotidienne du petit peuple.

Du point de vue historique, tout commence en 1814, au Congrès de Vienne quand les puissances victorieuses se partagent les dépouilles de l’Empire napoléonien. L’accouchement se terminera en 1815 avec la naissance d’une nouvelle Europe géopolitique. Les frontières ont été modelées en tenant compte des intérêts hégémoniques et économiques des négociateurs (tiens, ce n’est pas nouveau !) de chacune des puissances.

Il reste un grain de sable, un confetti, coincé entre la Belgique (née au Congrès de Vienne mais dans le giron des Pays-Bas), la Prusse et les Pays-Bas. Mais voilà, ce petit territoire d’à peine 3,44 kilomètres carrés et peuplé de moins de 300 habitants abritait un grand gisement de zinc. Dans l’impossibilité de l’attribuer à une des puissances plutôt qu’à une autre, il fut décidé au traité d‘Aix-la-Chapelle le 26 juin 1816 d’en faire un territoire neutre qui s’appellera Neu- Moresnet et/ou Moresnet neutre. II était administré par les Pays-bas, la Prusse et la Belgique après son indépendance en 1830.

Moresnet va vivre une période heureuse (pas de service militaire, lois françaises et administration belgo-allemande ; donc, pas de problèmes linguistiques non plus : la langue officielle sera l’esperanto.

Cette situation durera que jusqu’en 1914 avec l’invasion allemande. Et c’est parti pour une multitude d’avatars.En 1919, le traité de Versailles restitue Moresnet à la Belgique. En 1940, les Allemands envahissent de nouveau la Belgique, la langue allemande y devient la langue officielle obligatoire, y compris dans des régions, comme celle de Malmedy qui était bilingue : wallon-français. Jusqu’en 1939 les jeunes faisaient leur service militaire en Belgique. A partir de 1940, ils sont incorporés à la Wehrmacht et envoyés surtout sur le front russe. Il n’est pas rare de rencontrer des familles avec des fils combattant l’un sous l’uniforme allemand, l’autre sous l’uniforme belge. En 1945, Moresnet et les Cantons de l’Est sont réintégrés à la Belgique.

Les années qui suivent seront douloureuses ; familles divisées, population partagée entre les pro-Belges et les pro-Allemands. On y est vite taxé de collaborateur et la Belgique y met son grain de sel, en traitant d’abord avec mépris et condescendance ces « nouveaux Belges », puis en s’empressant de les oublier.

Heureusement, c’est de l’histoire ancienne. Moresnet est devenu La Calamine (autre nom pour désigner le Zinc), Kelmis en allemand.Avec la réforme de l’Etat de 1970 qui fait de la Belgique un état fédéral, les Cantons de l’Est deviennent la Communauté culturelle allemande intégrée à la Wallonie, avant de devenir une région à part entière en 1984 : La Communauté germanophone, avec ses ministres et son parlement. C’est la minorité la mieux protégée d’Europe. Depuis le 15 mars 1917, son nom officiel est Ostbelgien. Moresnet s’appelle maintenant La Calamine/Kelmis avec une nouvelle originalité : l’enseignement secondaire est bilingue allemand/français.

La page est tournée, il est temps d’ouvrir le livre de Van Reybrouck.

Zink est un essai romancé qui conte l’histoire d’Emil Rixen, un homme qui a eu onze enfants, cinq nationalités et deux identités.Cette histoire commence à Düsseldorf en 1902 avec le mariage de Hütten, un industriel (on ne connaît que son nom de famille) et Maria Rixen, sa servante. Un mariage qui ne durera pas longtemps puisque son mari la chasse de la maison Elle se réfugie à Moresnet-neutre et y accouche d’un enfant, Joseph. Il reçoit le nom de sa mère, mais pas sa nationalité prussienne. Il est « neutre ». Recueilli par la famille Pauly, où il y a déjà un petit Joseph, il est rebaptisé Emil, Emil Pauly. Plus tard, il inventera un compromis en se faisant appeler Emil Rixen.

Résumé ainsi, cela paraît compliqué. Pourtant, à la lecture, tout est limpide grâce au talent et à la maîtrise des techniques narratives de l’auteur. Le récit est éclaté. On passe subitement mais logiquement d’un sujet à un autre, d’un narrateur interne à un narrateur externe, du « je » au « nous » et au il ». Il y est question de l’historique de Moresnet, de l’importance à l’épuisement du gisement de calamine et de ses conséquences sociales, de la fabrication du zinc en passant par l’évocation de la vie de la famille Rixen qui est le fil conducteur. Tout est étayé par une documentation importante, tant en ce qui concerne le zinc que sur les vies des protagonistes (témoignages d’archives, d’opuscules, de journaux intimes de survivants, enquêtes sur place sur l’ancien site de l’exploitation minière et dans les cimetières , rencontres avec des descendants, avec des historiens…). Toutes les sources consultées par l’auteur sont citées dans les pages 71-73. Si on décompte les pages de garde, l’insertion d’une carte, les remerciements, les sources consultées et les notes du traducteur, la part de l’essai romancé se réduit finalement à 60 pages au long desquelles s’entremêlent une page de l’histoire européenne, une page d’histoire locale et l’histoire d’une famille.

Et, cerise sur le gâteau, Zinc est écrit dans une prose superbe grâce à l’excellente traduction du néerlandais que l’on doit à Philippe Noble.

A lire aussi : L’article de Pierre Havaux paru dans Le Vif du 2 janvier 2020 Robert Goffart et Francis Balace, Lily, une enfance à Malmedy pendant la seconde guerre mondiale, éd. Jourdan. 2019.

Lecture apéritive

« Nous ne savons pas exactement quand Maria Rien y est arrivée. Cela a dû se passer au cours de l’automne de 1902. J’essaie de me la perésenter : une jeune Allemande arpente les rues non pavées du village, de temps à autre elle doit faire une pose pour plaquer les mains sur ses reins, les coudes en arrière, le ventre bombé en avant. Ferme-t-elle les yeux ? Est-ce une froide journée d’hiver, au ciel clair ? Est-elle soulagée ou traquée ? Se sent-elle honteuse ou libérée ? Se remémore-t-elle le temps elle servait le velouté dans des soupières blanches ? Nous ne le savons pas. Pas plus que nous ne savons comment elle est arrivée dans cette bourgade et si elle y connaissait quelqu’un. Tous ce que nous savons, c’est que Moresnet-Neutre existait déjà et s’était même fortement développé, au point de devenir un village de mineurs de plus de 3400 habitants. Il n’avait jamais été question qu’il dure aussi longtemps. Dans les années 1820, les négociations entre la Prusse et les Pays-Bas avaient bien avancé – Les Pays-Bas allaient obtenir la mine, en échange du Hertogenwald – mais l’indépendance belge de 1830 vint brutalement s’interposer…. » (pp. 20 et 22).

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